Il y avait le Bo Widerberg politique de la charnière des années 60/70 ("Ådalen 31" et "Joe Hill"), le Bo Widerberg du thriller dans les années 70 ("Un flic sur le toit" et "L'Homme de Majorque"), il y avait même le Bo Widerberg romantique ("Elvira Madigan"), et il faudra dorénavant compter le Bo Widerberg en prise avec une version suédoise du néoréalisme italien. Le protagoniste de 18 ans interprété par Thommy Berggren, un fidèle du réalisateur, restera le point focal de tout le récit situé au milieu des années 30 dans un quartier ouvrier très pauvre de Malmö. Le père est un alcoolique ayant renoncé à à peu près tout, la mère tente de faire survivre le foyer en faisant des ménages épisodiques, et le fils rêve de devenir écrivain. Un rêve qui se lit comme une aspiration à l'évasion, pour s'enfuir de ce milieu délétère au plus haut degré, pour s'extraire de ce déterminisme social qui le plaque au sol avant même de lui avoir donné la moindre chance d'élévation.
C'est donc sous l'angle de la chronique sociale que "Le Quartier du corbeau" avance, en donnant à voir les effets de la Grande Dépression en Suède, loin de la capitale. Difficile de nourrir le moindre espoir dans cet environnement nocif, où on se tue à la tâche dans des boulots merdiques pour gagner à peine de quoi manger (et on est loin du festin, on s'en doute). En plus de cela, le national-socialisme enfle dangereusement aux frontières du royaume. Ce n'est pas pour autant un film sordide, Widerberg cultivant une veine plutôt tournée vers une ambiance désabusée, étouffante mais pas mortifère. Un microcosme où la misère règne, enfermé dans sa grisaille et ses murs de brique, avec de temps en temps quelques fausses lueurs d'espoir — l'épisode de la publication du roman est éloquente à ce sujet, au cours de laquelle Anders part rencontrer la maison d'édition plein de fougue pour revenir détruit, car il ne s'agissait que d'encouragements.
Et un jour, la goutte d'eau fait déborder le vase. Une humiliation de plus de la part du père, et voilà qu'il trouve l'énergie d'accompagner son ami pour Stockholm. La misère sera sans doute équivalente, le fatalisme reste maître en ces lieux, mais au moins, quelque chose aura changé.