La fiction est souvent en détour salvateur pour accéder à la vérité ; la tentative, par une savante construction, d’accéder à une part secrète des êtres, observés sur le long cours, dans leurs silences, leurs réactions, des gestes anodins pourtant annonciateurs de la crise à venir.
Le fait divers occasionne toujours cette mise en récit, d’abord par la furie médiatique, puis au cour d’un procès qui posera, à tête reposée, les mobiles, les circonstances et les faits. Dans Saint Omer, Alice Diop faisait de ce processus la matière brute de son film : la femme criminelle face à ses pairs, et des concitoyens amenés à se prononcer sur son cas. Dans Le Ravissement, premier film d’Iris Kaltenback, une voix off masculine accompagne l’apparition de la protagoniste, sans qu’on puisse dans les premiers temps l’identifier. Une voix qui s’identifiera plus tard comme « ce voisin du fait divers », qui cherche à comprendre le parcours de Lydia, parce que « sa voix a manqué au procès ».
Tout est donc question de point de vue : dans ce récit sur la solitude, qui semble au départ explorer un à côté féminin de Taxi Driver et son chauffeur de nuit, des êtres esseulés dans une ville hostile s’approchent et s’éloignent, et le dévouement de Lydia à son travail commence à nourrir une situation qu’elle ne parvient pas à construire : celle de compagne et de mère.
Le Ravissement ne cherche pas à disséquer un dossier judiciaire : il se contente d’accompagner un être opaque, par le prisme d’un proche qui va devoir, dans le fil retracé de son histoire, affronter la mystification. En découle une sécheresse assez fertile, en ce qu’elle permet d’approcher au plus près les moments clés où une femme, par orgueil ou recherche d’attention, laisse un malentendu se poursuivre avant que la mécanique ne l’emporte dans une irréversible fuite en avant.
La force du récit se trouve dans la plasticité de son rythme : un savant dosage entre ellipses et sommaires, de ces instants où Lydia s’isole du monde, avant l’irruption de séquences construites autour d’un temps réel presque suffocant : l’accouchement, mise en danger et transfert inquiétant d’émotion de la mère à la sage-femme, et cette terrible séquence avec la belle-famille où l’intégration à une nouvelle sphère met la mythomane face au piège qu’elle a elle-même construit.
La coloration bien maîtrisée du thriller ne dévie pas pour autant du projet initial.
L’excellente interprétation d’Hafsia Herzi et Alexis Manenti maintient les sentiments complexes d’un couple qui se construit sur des chimères, et la singularité du point de vue, à savoir la prise en charge du récit par celui qui crut être père, infuse un regard qui ne peut totalement se départir des sentiments construits pour cette femme. La séquence finale en témoigne, lorsqu’il la rejoint à sa sortie de prison et, sans un mot, marche à ses côtés : après la parole mensongère et le verdict judiciaire, le silence de la compagnie pourra, peut-être, reconstruire des êtres qui peuvent avoir un nouveau chemin à arpenter.
7.5/10