---Bonjour voyageur égaré. Cette critique fait partie d'une série. Tu es ici au treizième chapitre. Je tiens à jour l'ordre et l'avancée de cette étrange saga ici :
https://www.senscritique.com/liste/Franky_goes_to_Hollywood/2022160
Si tu n'en a rien a faire et que tu veux juste la critique, tu peux lire, mais certains passages te sembleront obscurs. Je m'en excuse d'avance. Bonne soirée. --


Mon chéri,
Pardonne je t’en pris cette ouverture un peu niaise, car tu en es un peu coupable. J’ai eu le plaisir ce matin de découvrir dans ma boite aux lettre non pas une mais deux lettre de toi, toutes remplies de sucrés compliments et de douceurs amoureuses. J’y lis que tu prends mes recherches très à cœur, et que tu t’attelle toi aussi au visionnage de tous ces films. Je sais qu’il est trop tard pour te l’écrire désormais mais j’espère que tu auras un peu relâché cette entreprise quand tu décachettera ces mots, et que tu ne te seras pas imposé par amour pour moi toute cette flopée de mauvais films de laquelle je sors tout juste. Tu n’as, toi, jamais connu Wulver, et s’il est raisonnable que je fasse ces quelques sacrifices pour mon ami, tu n’as pour ta part aucune raison d’en faire autant. Je ne te blâmerai pas plus, car égoïstement j’aime que tu m’accompagne dans cette entreprise. D’autant plus que ton avis est d’une perspicacité impressionnante. Tu sais déceler les détails devant lesquels je suis passé sans un regard, tu sais relever les éléments qui pourraient donner sens à mes recherches. Le feu, tu as raison, doit être un indice primordiale, surtout que je te le confirme encore par le film de ce soir, cette phobie/fascination de la créature pour cet élément est récurent.
Pour ma part, ce soir marquait un étape importante : j’arrête la Hammer. Le film de ce soir était le dernier. J’ai bien conscience qu’il m’en resterai deux, mais j’ai déjà pris trop de retard, si je veux voir autre chose que les deux firmes fondatrices du film de monstre ce mois-ci, je dois aller de l’avant. Je me rassure en sachant que Fisher ne signe pas le film suivant, et que le dernier quant à lui, bien qu’étant le dernier de la complète filmographie de Terrence Fisher, porte tout de même un nom assez rebutant. Malgré tout, c’est frustrant. Car comme la Hammer m’y a habitué désormais, le film de ce soir, *Le Retour de Frankenstein*, est meilleur encore que son prédécesseur.
Meilleur et en même temps décevant par de nombreux aspects. Étonnamment, le scénario recule sur de nombreux points : on retrouve ce coté gênant qu’avait *l’Empreinte de Frankenstein* de ne pas savoir correctement s’insérer dans la chronologie, sans toutefois admettre qu’il n’en fait pas partie. On retrouve également le coté 100 % méchant du baron Frankenstein, qui avait caractérisé les premiers films avant de se nuancer. On ne cherche plus vraiment non plus a aller explorer d’autres questionnement que celui, évident vu le récit, sur les limites morales de la science. Les personnages sont ultra-convenus, accompagnant le baron d’un couple un peu niais Paris Hilton-Justin Bieber. Comme quoi, rien n’a changé. Le scénario bute régulièrement sur des incohérences éludées trop rapidement. Et pourtant.
Pourtant le film m’a laissé dans une paralysie angoissée. Je redoute l’instant ou je me déciderai à aller me coucher car sans aucun doute je passerais une nuit agitée. Fisher atteint une maîtrise de l’horreur tellement moderne que seule l’esthétique bien singulière de la Hammer me permet de m’assurer que le film date bien des années 60. Si je voulais faire un film d’horreur aujourd’hui, je ne changerais pas une image à cette scène d’introduction glaçante. Cette musique d’abord parfaitement inappropriée puis basculant lentement vers l’oppression ; cette façon de pointer dans chaque cadre le choix de ne pas montrer le visage du personnage ; ces lumières froides, parfaitement irréalistes mais jouant si bien leur rôle de mettre en valeur un décor malsain ; et cette révélation finale qui m’a fait faire un bond dans mon siège : car même si j’avais bien relevé le jeu obsessionnel de nous laisser désirer le visage de Peter Cushing, je n’avais soupçonné un seul instant qu’on nous surprendrai à nous l’offrir sous cet aspect. Ce masque a à peine vieilli, une production modeste aujourd’hui n’aurait pas fait mieux.
Pendant le quart d’heure suivant, un peu vide il faut l’avouer, et une fois la pression de cette somptueuse introduction redescendue, mon enthousiasme a chuté lui aussi : qu’attendre de l’heure et demi restante d’un film qui a déjà tout donné dans ses premières images ? La aussi, j’ai été surprise : la fin atteint le paroxysme du thème de la vengeance qu’exploraient déjà les deux films précédents. La créature, ça y est, n’est plus du tout une créature mais bel et bien un Homme, complet, ni plus ni moins, et c’est ce qui le rend le plus effrayant. Je n’ai pas assez relevé dans mes quatre dernières lettres comme l’esthétique Hammer m’est chère. Et si cette esthétique est particulièrement réussie dans le film de ce soir, prends ces quelques mots également pour amende de ce que j’ai tue des films précédents : la granulosité de l’image, ses contrastes francs et pourtant subtiles, ces costumes chics qui ne révèlent que mieux l’horreur de ceux qui les portent, ces cadres minutieusement positionnés et réfléchis, révélant un sens aiguë de la puissance cinématographique, n’hésitant pas à aller vers des extrêmes si la situation le réclame, ces décors de contes de fées cauchemardesque, portant ce qu’il faut d’irréalisme pour nous dépayser, mis en lumière par ces lumières qui n’ont pas peur d’elle-même, pas peur d’aller vers l’irréalisme tant qu’elles s’harmonisent avec l’ambiance malsaine : tout cela me fait rêver. Je ne suis pas sure que j’aurais décris autrement la manière parfaite de faire du cinéma selon moi. Oh, non pas que la Hammer ai produit tous mes films préférés, loin de là, mais il y a ici un souffle créateur qui a sans aucun doute porté jusqu’aux créations qui me sont les plus chères.
Mais pour revenir au film de ce soir, sa force en particulier le plaçant au-dessus de tous les autres Frankenstein Hammer c’est qu’à mon goût il sait allier tous ces éléments visuels d’une part à une musique qui ne cède pas sous la pression de ce qu’elle nous avait annoncé en introduction, se révélant toujours subtile, se détachant pour créer de l’étrange ou accompagnant pour démultiplier l’horreur, toujours dans les temps, toujours dans la bonne mesure. D’autre part, et surtout, par un scénario et une mise en scène savamment orchestré pour démultiplier l’horreur. Les scènes de violence réelle, si elles sont au final assez peu nombreuses reposent sur un découpage parfait et un jeu de torture psychologique (tour à tour des personnages ou du spectateur) si finement exécuté que c’en est effrayant. Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est comment Fisher fait le choix osé de passer la plupart de la violence non pas simplement hors-champs, mais carrément hors-scénario, choisissant d’aller poser sa caméra sur une scène parallèle, ou tout simplement d’éllipser la séquence. De cette absence naît une horreur difficilement descriptible, et pour lequel tu imaginera facilement mon enthousiasme, vu comme je t’ai parlé à t’en assommer de *La Féline*. Certes ce film ne fait que me convaincre un peu mieux que l’horreur la plus inquiétant est celle qu’on laissera à l’imagination du spectateur, qui ira naturellement plaquer sur cette scène à laquelle on lui donne toute liberté, ses angoisses les plus personnelles. A cette puissance psychologique faisant confiance à l’imagination de son spectateur Fisher s’amuse à gratiner l’après, reprenant habilement les commandes du récit par une petite gâterie malsaine, renforçant encore ce qu’on se sera imaginé. Je n’aurais jamais pensé être saisie d’horreur à voir Peter Cushing commander des œufs au plat pour son petit déjeuner…

Ce soir le réconfort de tes caresses me manquera particulièrement,
H.

Zalya
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le 18 nov. 2018

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