Dans le genre histoire vraie incroyable, celle de Jan Lewan fait très fort ! Dans les années 90, cet immigré polonais autoproclamé roi de la polka de Pennsylvanie a monté une arnaque façon pyramide de Ponzi en proposant des investissements à un taux de revient hallucinant de 12% à des retraités fans de sa musique dans près de 14 états américains ! Évidemment, il se servait des versements des uns pour rembourser parfois ceux des autres afin de maintenir l'illusion mais surtout il a monté un véritable business fort de sa petite notoriété dans son domaine musical, le conduisant même à créer des voyages organisées où ses investisseurs eurent la possibilité de rencontrer Jean Paul II en personne. Le chanteur sera aussi nommé aux Grammy Awards, dans la catégorie polka, au milieu d'un parterre de stars de l'époque (dont un certain Donald Trump comme en témoigne les photos du véritable Jan Lewan pendant le générique de fin).
Mais ce que la réalisatrice Maya Forbes (l'excellent "Daddy Cool") va nous dévoiler c'est le caractère ambivalent de cet homme aussi jovial qu'attaché à rendre heureux sa famille et son entourage quitte à vivre dans la plus parfaite illusion. Le schéma est classique, l'homme est emporté dans la spirale infernale de son escroquerie mais il reste persuadé à chaque instant que son destin de conquérir l'Amérique par son art musical lui est acté et que les moyens pour y parvenir, aussi malhonnêtes soient-ils, s'arrangeront d'eux-même une fois son but atteint. Et puis, les rares moments où son système atteint ses limites, où il est au bord de la ruine ou que le gouvernement pointe le bout de son nez dans ses affaires, tout semble miraculeusement s'arranger seulement par la magie de sa foi inébranlable en ce fameux rêve américain alors pourquoi ne pas continuer ?
D'ailleurs, au-delà de son ascension personnel, l'homme s'attache à ce que tous ses proches jusqu'à ses fans soient touchés par sa réussite, l'empathie sincère presque dévorante dont il preuve à leur égard apporte un côté touchant, voire enfantin à cet escroc pourtant bien conscient de ses actes mais qui ne semble les réaliser que pour s'assurer que sa famille au sens large du terme ressente le même bonheur qu'il est train de vivre. Ce sera d'autant plus douloureux de le voir chuter à cause de cette volonté qui l'entraînera à commettre une faute bien trop grossière simplement par amour. La dernière partie du film sur la révélation de sa tromperie et de ses conséquences paraîtra hélas expédiée et sombrera trop dans l'excès pour réellement convaincre (aïe, la séquence de l'hôpital), ce qui s'avérera dommage car "Le Roi de Polka" avait jusque-là su maintenir un équilibre constant entre l'humour absurde découlant du statut kitchissime de la polka (les scènes musicales et autres clips rétros sont juste hilarants), la bonhommie attachante du personnage et, bien sûr, les proportions ahurissantes de toute cette affaire.
Pour finir, il faut souligner le grand numéro offert par Jack Black et son accent polonais à couper au couteau, sa générosité de jeu aussi adéquate dans la drôlerie que dans les moments plus dramatiques épouse merveilleusement bien les contours de ce personnage fascinant tiraillé entre tous ses excès. Jenny Slate dans le rôle de sa femme cherchant à s'affirmer et Jason Schwartzman en meilleur ami clarinettiste de génie (tous deux premières victimes du rayonnement séducteur de Jan Lewan) ne sont pas aussi en reste et donnent tous l'impression de s'amuser dans une bonne humeur générale à retranscrire ce fait divers pour le moins étonnant.
Il faut croire que l'emprise instantanément amicale de Jan Lewan a aussi un effet communicatif sur le spectateur car, hormis cette dernière partie un peu loupée, ce "Roi de la Polka" n'a presque pas usurpé son titre.