C’était bien.
Toujours sympa comme procédé de plonger un personnage sous couverture (ici un jeune marquis ruiné) dans une communauté (ici une famille fortunée) dont les travers et secrets vont progressivement lui (donc nous) être révélés, les sympathies – voire attirances – et alliances évoluant au gré des diverses péripéties, parmi lesquelles évidemment l’inévitable révélation à ses hôtes de l’identité de notre protagoniste. Un récit assez balisé sur le papier que ce Roman d'un jeune homme pauvre donc, mais ici assorti d’un discours social assez plaisant, et exécuté avec pas mal de talent derrière comme devant la caméra :
Alors qu’est-ce qui vient du roman d’Octave Feuillet, qu’est-ce Gance a inventé, je ne sais pas (pas lu le bouquin – mais ce film m’en a donné l’envie) mais la galerie de personnages est franchement cool, tous impeccablement croqués et interprétés (outre Fresnay évidemment, c’est Saturnin Fabre qui se taille la part du lion, dans le rôle du concurrent amoureux) ; à l’exception peut-être des deux vieillards, dont le jeu curieusement outré cloche un peu avec le reste de la distribution, mais nourrit paradoxalement l’intérêt/inquiétude qu’ils suscitent, compte tenu du grave secret qu’ils semblent détenir et convoquer à chacune de leurs – finalement assez rares – apparitions.
Des apparitions qui participent entre autres à la réussite globale du film, dont l’ambiance fourmillante de manigances, de petits secrets et grands espoirs (d’héritages et de cathédrales…), de rancunes larvées et autres complexes d’infériorité/supériorité entre les divers membres de cette dynastie – qui vont tous accueillir différemment le nouvel arrivant dans leur écosystème – fonctionne tout du long. Le fric corrompt décidément tout… et souille même l’amour quand on est trop riche. Si c’est pas malheureux, je vous le demande…
(Et si, riche lecteur, la lecture de ces lignes te provoque une soudaine épiphanie, et que tu souhaites dès lors très légitimement te débarrasser de ces décidément bien encombrants deniers, tu trouveras mon PayPal en fin de texte.)
Et, pour le coup, si je ne sais pas ce que Gance a apporté ou non aux pages de Feuillet (subtil), je lui accorde volontiers un talent certain pour le gros plan, et en particulier le profil, ceux qu’il nous pond de Fresnay figurant haut la main parmi les plus magnétiques que j’ai vus de l’acteur (qui ne manque déjà pas de cinégénie habituellement). Un Fresnay par ailleurs impeccable – évidemment ! –, dans une partition somme toute classique chez lui, à savoir celle du type élégant et éloquent, tout en rigueur protestante ; mais après tout, c’est encore ce qu’il fait de mieux, donc je ne m’en lasse pas.
Et dans le même esprit, le film s’offre de brefs éclairs de beauté pure (en tête ce plan fugace sur un dolmen, avec la petite réplique de Fresnay qui va bien) qui, je dois bien l’avouer, m’ont pour certains d’entre eux fait me dire qu’à tous les coups, son fameux Napoléon qui fait l’actualité en ce moment doit regorger de morceaux du style, et qu’il serait quand même grand temps que je me sorte le bicorne du fondement et me dégote une séance pendant qu’il en reste.
Si je devais faire deux reproches à ce Roman quand même, histoire de : j’ai dans une poignée de scènes trouvé la musique un peu envahissante (un reproche que je fais rarement mais là c’est le niveau où ça gêne la bonne compréhension des dialogues, c’est relou) et je ne suis que moitié convaincu (euphémisme) par le tour de passe-passe scénaristique final pour boucler le récit (qui, même s’il est partiellement amorcé depuis le début, est si invraisemblable qu’il jure presque avec le reste du film, tant il est grossier en comparaison).
Mais bon, ce dénouement « léger » dirons-nous ne gâche pas le plaisir non plus.
Un bon moment, donc.