Sorti à l'écran cinq mois à peine après la première parution de la nouvelle éponyme de Yukio Mishima dont il reprend assez fidèlement le contenu, Kenji Misumi signe avec Le Sabre l'un de ses meilleurs travaux. Photographie épurée qui correspond bien à l'éthique d'ascèse que s'imposent les étudiants de ce club de kendô, cadrages magnifiques, plans soignés où l'image transpire la discipline, l'effort et la sueur. Le récit est centré autour d'un groupe d'étudiants, membres d'un club de kendô (sabre) et particulièrement sur son capitaine, interprété par Raizo Ichikawa. Comment ne pas voir dans ce personnage l'alter-ego de Mishima lui-même ? Son nom pour commencer, Kokubu contient la racine "pays" et renvoie à un certain patriotisme. Au sein du club, où son autorité est parfois contestée, seul le jeune Mibu lui restera fidèle en toutes circonstances. Il est amusant là aussi de constater que Mibu est le nom du clan qui a soutenu le shogunat des Tokugawa jusqu'aux dernières heures de la révolution de Meiji en 1867, les loyaux samouraïs à qui l'on a confié la défense de la porte du château d'Edo pour sauver ce qui restait de l'ordre ancien. Le dernier carré en quelque sorte. Des faits de bravoure et de loyauté qui n'ont pas laissés Mishima insensible.
Ici, Kokubu et Mibu incarnent la droiture, la pureté, la fidélité à un idéal. Kokubu, en capitaine exemplaire, impose une éthique très rigoureuse et un entraînement exigeant qui passe par le travail, la hiérarchie (les cadets, ceux qui ont le droit de porter le casque ou pas), le sacrifice et la punition. Au sein du club les autres disciples s'évertuent eux aussi à suivre ce chemin, avec plus ou moins de réussite. Car on comprend rapidement que Kokubu (à l'image de Mishima) est un homme du passé, aux valeurs archaïques, tandis que ses élèves seront soumis aux influences extérieures au dojo, comme une jolie jeune fille par exemple (on notera au passage qu'elle est fortement occidentalisée et qu'elle utilise du Thank you et du Good luck! dans ses expressions) ou encore à la mer rafraîchissante qui va venir interrompre leur routine d'entraînement.
Kokubu, fidèle à ses convictions, mettra fin tragiquement à ses jours plutôt que de vivre avec son échec. Son rival dans le club, dira de lui après son suicide, "il m'a encore battu, jamais je ne pourrai égaler sa perfection".
Un destin là aussi à mettre en lumière avec la propre existence de Mishima. Un film qui frôle la perfection.