une dernière monstrueuse danse pour un génie
Les années 50, le fleuron de la série B, la crête flamboyante du film de genre, sommet inégalé de l'horrifique monstrueux couronné d'un cratère bouillonant d'une émulsion inventive prospère en créatures plus ou moins probables et pour la plupart fortement hostiles envers l'homo sapiens (et à juste titre bien souvent bordel)
1953 : "Le Monstre des Temps Perdus" (Ray Harryhausen, un génie révélé)
1954 : "Godzilla" (directement inspiré par "Le Monstre des Temps Perdus")
et "L'étrange créature du Lac Noir".
1955 : Jack Arnold s'affirme comme le nouveau maître du genre avec "Tarantula" et Ray Harryhausen confirme son talent inégalé pour le grand spectacle avec "It Came From Beneath the Sea". Puis la même année déboule "THEM!" de Gordon Douglas, qui instaure une nouvelle profondeur au genre.
Et nous y voilà, 1957, le festival du monstrueux, l'apogée de l'improbable, le bouquet final d'une ère de terreur d'écailles, de poils, de mandibules, de crocs, de tentacules et de gigantisme.
Harryhausen perfectionne son art du spectacle avec "A des millions de kilomètres de la Terre", offrant des scènes inoubliables.
Jack Arnold excelle et touche aux sommets du fantastique avec son adaptation de "L'homme qui rétrécit", déployant avec emphase ses capacités d'illusionniste, retrouvant son amour certain pour la présentation d'araignées démesurées et autres effets sensationnels.
L'éternel Roger Corman lui même pond un "Attack of the Crab Monsters" plus que mythique, bouillonnant d'idées, matérialisées à sa succulente sauce.
La Mante Religieuse géante de Nathan Juran déboule dans "The Deadly Mantis" et resurgit du passé avec férocité.
Fred F. Sears lui, de son côté, marque à jamais l'histoire du film de monstre d'un coup de griffe acérée avec son "The Giant Claw", histoire d'un dindon géant intergalactique protégé par un bouclier d'antimatière et provoquant l'apocalypse sur Terre.
Et c'est en cette fin de l'année 1957 que le Roi des rois, le pionnier de l'animation stop-motion, le magicien trop souvent oublié qui pourtant enfanta tant de vocations, reprendra du service pour s'adonner à la création et à la mise en scène de scorpions géants. Willis O'Brien, animateur de The Lost World (1925) et d'un certain King Kong huit ans plus tard, s'allie ici avec Edward Ludwig pour se permettre un dernier coup de maître, et il serait presque justifié d'attribuer ce film à O'Brien plus qu'à Ludwig tant le métrage brille par ses scènes d'arachnides plus que par son scénario sans saveur.
Certes, on ne peut pas dire que le genre soit une pépinière d'histoires bien originales, proposant bien souvent les mêmes trames narratives comme simple prétextes, mais il est parfois plaisant de trouver un univers singulier et accrocheur qui fasse du film une oeuvre marquante dans son ensemble. Ici, non.
Dans des décors mexicains, quelques villageois sont terrorisés par le retour à l'activité de volcans, provoquant le réveil plus que redouté d'une espèce de scorpions préhistoriques (totalement inventée pour l'occasion hein, rêvez pas, ça n'a jamais existé ces trucs), j'ai nommé le Scorpionus Rex.
Un peu comme avec "La Vallée de Gwangi" 12 ans plus tard, on a l'impression ici que tous ces décors sans âme sont le simple terrain de jeu bâti à l'intention de Willis O'Brien avec carte blanche pour faire de cette mélasse sans substance une petite perle du genre. Et O'Brien ne se fait pas prier.
Ce film est en bien des points une oeuvre fort importante pour un fouineur aguerri et fan du père de l'immense primate assidu d'alpinisme sur les grattes-ciel. On sait en effet qu'O'Brien avait réalisé bien plus de créatures que celles qu'il nous est donné de voir sur Skull Island, réalisant toute une scène d'arachnides géants dans les profondeurs du célèbre ravin surplombé d'un vieux tronc arraché. Cette séquence, la fameuse "pit scene", bien que remontée récemment avec ce qu'il en restait, a été en réalité presque totalement et définitivement détruite, et pour beaucoup (oui pour moi aussi), c'est quelque chose d'extrêmement dommage.
Mais la pellicule détruite, il reste toujours les créatures, qui a l'époque, n'étaient pas une simple accumulation de polygones enchevêtrés. Willis O'Brien réutilisera donc ici certains de ses "bébés" monstrueux lors de passage fortement spectaculaires de ce The Black Scorpion. La scène souterraine, au fond du volcan, présente un combat titanesque entre deux étranges créatures, sortes de mille-pattes et de mite géante, tout deux originairement issus de l’Île du Crane et proposant la maigre mais Ô combien plaisante consolation de retrouver un peu de ces hideux êtres tant convoités, grouillant et s'affrontant dans les ténèbres hurlantes.
Pour le reste, O'Brien sert une animation en stop motion du plus haut niveau dans un film qui reste bien trop méconnu à mon sens. Les scorpions gigantesques sont en interaction parfaite avec les décors, démolissant des rochers, attrapant un train dans leurs pinces pour le fracasser, surgissant sur les collines ténébreuses pour venir se sustenter dans le bétail tétanisé, accumulant les apparitions explosive et meurtrières jusqu'au final dans le stade où le plus badass d'entre eux et dernier survivant de sa lignée affrontera tanks et hélicoptères avec toute sa hargne ravageuse dans un combat animé de patte de maître de la manière la plus épique qui soit pour un film de ce genre... L'animal rugit de douleur et de rage en envoyant valdinguer les blindés, à chenilles comme à hélices et l'ensemble s'avère un couronnement de haut vol.
Bien loin d'offrir quelconque message ou autre atmosphère réellement attrayante, à des centaines de lieux d'une réflexion à la Gwangi ou d'un questionnement à la "Them!", à des milliers de kilomètres du touchant et de la poésie de L'étrange créature du lac noir, ou de l'intrigue magnifiquement menée de L'Homme qui rétrécit, très loin même de l'inventivité folle des Crabes Géants de Corman et bien entendu à des années lumière de la limpide beauté de Kong, ce The Black Scorpion n'en est pas moins un film qui mériterait son statut de culte, égalant voir surpassant dans sa réalisation la plupart de ses contemporains, offrant pour une des ultimes fois à Willis O'Brien, la possibilité de s'imposer encore comme le dieu créateur du genre, père de tous les plus grands dans ce monde aussi monstrueux qu'attachant.