Le secret de Brokeback Mountain a la lenteur enivrante des films dont on sait qu'on ne ressortira pas indemne. Ang Lee, à qui l'on doit déjà l'excellent Garçon d'honneur, s'attarde avec une simplicité désarmante sur la naissance d'une idylle brutale et improbable entre Jack, séducteur impatient et Ennis, secret et taciturne. Mais les hommes ne s'aiment pas dans le Wyoming de 1963 et on assiste, indolent, à la tentative sincère et maladroite, d'un homme décidé à lutter contre ce qu'il est. Le silence s'impose tout à la fois destructeur et protecteur. Et puisque les mots ne viennent pas, c'est au travers des espaces qu'Ang Lee trouvera ses émotions. Dès lors, Brokeback, avec ses grandes étendues verdoyantes, apparaît comme une indispensable bouffée de liberté à un couple hasardeux rongé par les doutes et les espoirs déçus. Heath Ledger et Jake Gyllenhall, dans une alchimie troublante, donnent à leurs personnages cette force si tranquille qui les rend si désespérés. Entre haine de soi et douleur contenue, Ang Lee développe dans un mutisme étouffant un langage amoureux fait de gestes pressés et malhabiles, de baisers violents et de poings colériques. Autour de ce duo d'acteurs en état de grâce, Michelle Williams et Linda Cardellini réussissent à transmettre ce que Anne Hathaway ne fait malheureusement qu'effleurer : une émotion sourde et vibrante entre résignation et amertume.
Brokeback Mountain est une oeuvre marquante, déchirure lancinante, qui accompagne le spectateur longtemps après sa sortie de la salle; une histoire d'amour où la quête d'un idéal forcément inaccessible se heurte à la frustration des non-dits et à l’implacable tristesse des sacrifices concédés au temps qui passe.