Pour la postérité des ninjas

En 1962 la Daiei adapte au cinéma le roman Shinobi no Mono, une histoire populaire de ninjas publiée dans l'édition du dimanche du périodique Akahata ("drapeau rouge"), affilié au Parti communiste japonais. L'histoire prend place durant la course au pouvoir d'Oda Nobunaga (1534-1582), le premier unificateur du Japon, qui dans sa marche sur la capitale Kyôto va devoir éliminer tous les clans qui s'opposent à lui, ainsi que les ordres religieux entrés en rébellion durant cette période de troubles appelée par les historiens ère Sengoku ("pays en guerre"). Deux événements sont explicitement cités, l'un au début du film : la destruction par Nobunaga du temple Enryaku-ji et de ses moines-guerriers (1571) ; l'autre un peu plus tard dans le film, la longue-guerre qui l'oppose aux rebelles Ikkō-ikki et qui aboutit à la destruction du temple Hongan-ji (1580).

Nobunaga a deux autres rivaux particulièrement dangereux, tous deux mentionnés dans l'intrigue du film : le premier est son allié, le seigneur Ieyasu Tokugawa (1543-1616), aussi talentueux au combat et aussi ambitieux que lui ce qui pourrait bien un jour constituer un obstacle sur sa route. Il résout ce problème en envoyant Tokugawa guerroyer loin de lui dans l'Est du Japon contre les puissants clans Takeda, Uesugi et Hōjō.

La deuxième menace qui pèse sur Nobunaga est celle des ninjas d'Iga, qui sont plutôt pour le statu quo et refusent qu'un tel homme, aussi imprévisible que dangereux, obtienne les pleins pouvoirs. Dès lors, deux clans de ninjas, celui de Fuijbayashi et celui de Momochi vont mettre la tête de Nobunaga à prix (probablement payés par Ieyasu ?) et entrer en concurrence pour abattre l'homme fort du Japon. Raizō Ichikawa interprète ici le héros populaire Goemon Ishikawa (1558-1594), un voleur semi-légendaire de cette période, sorte de Robin des bois japonais. Goemon aurait été, selon la légende, formé au ninjutsu par le maître Momochi. Bien qu'après il ait choisi la vie de bandit de grand chemin il est ici dépeint sous les traits d'un ninja accompli. Le maître Momochi le missionne pour assassiner Nobunaga (interprété par Tomisaburō Wakayama) avant ses rivaux du clan Fujibayashi. Goemon va en parallèle va connaître quelques déboires sentimentaux et se voir éprouvé dans sa loyauté envers son maître.

La Daiei confie la réalisation à Satsuo Yamamoto, un réalisateur de la maison connu pour son affiliation au PCJ qui lui avait valu une exclusion de la Toho. Il en ressort une œuvre assez sombre, par la photographie déjà et ses nombreuses scènes de nuit, ses recoins obscurs dans les pièces du château où se tapissent les ninjas. Mais sombre également dans son intrigue, où le brave Goemon est constamment mené en bateau par les intérêts concurrents, jusqu'à la révélation de la scène finale...

Ce premier film est un immense succès, la Daiei va rapidement en produire sept autres et en faire une série parmi les plus populaires des années 60, alors que la culture des "ninjas" connaissait un regain d'intérêt de la part du public. On peut également dire que tout le folklore créé par cette série va conditionner la représentation du ninja tel qu'il apparaîtra dans les œuvres ultérieures : tenue et masque noirs, artifices, armes, techniques, cascades, ruses. La portée de l'œuvre de Murayama (le romancier auteur de la série originale) et Yamamoto est primordiale dans l'imaginaire collectif associé au monde des ninjas.

[Edit:] J'ai revu ma note à la baisse (de 7 à 6) après avoir complété la série.