Avant-propos.
Je propose un écrit à l'angle un peu particulier, à savoir une critique marxiste. Vous savez... Nous autres, nous avons de singulières occupations. Alors, peut-être que le peu de gens qui ont eu connaissance de ce film ne me liront pas à cause de cet intitulé mais... J'ai l'intuition que nous ne venons jamais vers "Le sel de la terre" par hasard.
D'autres critiques positives apportent des éléments essentiels sur ce film et le contexte de sa diffusion... Mais ici, l'objectif est clair, je le dis, tout net, c'est de signifier en quoi ce film est communiste et en quoi il ne l'est pas.
Propos.
Ce film est un idéal pour l'analyse politique parce que je le trouve didactique et, parce qu'il est didactique, il est fait pour discuter de la nécessité de la lutte et de la manière dont elle se conduit dans une perspective révolutionnaire et internationaliste.
Embourbé dans un mélodrame religieux, "Le sel de la terre" est déjà un titre qui rappelle l'évangile selon Saint-Maclou (évidemment) :
"Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on? Il ne sert plus qu'à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les hommes."
http://erfac.perso.sfr.fr/predications/pred032007.pdf
La religion tient une part en filigrane, non prépondérante dans le film. Il me paraît important de le souligner car la religion est un parasite politique qui transparaît différemment selon les cultures et les courants catholiques.
Digression.
S'il convient au croyant catholique de ne jamais se prosterner devant un quelconque ordre autre que celui du Divin Père, la notion de libre-arbitre diffère du tout au tout. Pour certains, parmi plus intègres, le libre-arbitre de l'homme ne doit en aucun être celui qui le conduit à la politique ; il n'est pas envisageable de gérer pour lui-même et pour les siens ce qui est du ressort de l'invisible providence sans déclencher la colère de Dieu. Pour d'autres catholiques, Dieu s'inscrit dans la parole et les actes des hommes et, de ce fait, l'engagement dans la lutte est une vertu céleste, tout en prenant soin de considérer le bien commun comme étant l'objectif ultime. Ainsi, il n'est pas très étonnant de trouver les racines du communisme, développées en réaction de la naissance du capitalisme dans les pays historiquement judéo-chrétiens. de Saint-Martin à Saint-Simon, certains égalitaristes étaient de parfaits fervents à une époque !
Fin de la digression.
L'une des questions significatives dans ce film n'est pas quel place accorder à Dieu puisqu'il est Un mais bien quel place et quels rôles les hommes doivent-ils s'accorder à eux-mêmes ?
"Le sel de la terre" est sans appel sur ce point : quand les conditions de vie sont injustes et qu'une minorité tire tout le profit de l'exploitation, les travailleurs doivent s'organiser... Mais attention ! Ils ne doivent jamais lever la main autre part que sur leur femme ! (imparable réplique d'Esperanza devant son mari : "Cela non plus ça ne marche plus avec moi")
Ce catholicisme patent se retrouve dans la manière d'organiser la lutte et dans la manière de porter certaines revendications. Tandis que le marxisme conçoit le renversement de la bourgeoisie dans la violence, il n'est pas possible de dire que "Le sel de la terre" ait des objectifs communistes mais des objectifs sociaux-réformateurs. A aucun moment, les mineurs n'ont l'intention de prendre le contrôle de l'entreprise pour la mettre au service de tous. Par contre, au fur et à mesure du conflit, les revendications s'étendent jusqu'à une revendication essentielle qui est le droit des femmes à l'intérieur du syndicat. Une question fondamentale certes mais elle est traitée non en réaction de la bourgeoisie qui exploite les hommes autant que les femmes mais en réaction du patriarcat interne au syndicat. Cette extension des revendications est essentielle naturellement mais elle n'est montrée nullement comme un acquis ouvrier. Le droit des femmes a été remportée par la lutte des femmes contre sa propre organisation et terminera en odeur de sainteté comme une règle de bon sens et de solidarité.
Avant de revenir sur la solidarité, rappelons que le conflit s'arrête avec la satisfaction des revendications. Chose qui me rappelle le renégat Maurice Thorez lorsqu'il dit en 1936 qu'il faut savoir terminer une grève... au lieu d'encourager son expansion. S'il est bien un élément très critiquable dans ce film, c'est bien cette considération petite-bourgeoise de la victoire ouvrière (l'exploitant de la mine le dit clairement tandis que les mineurs savourent ce moment rare : donnons-leur ce qu'ils veulent... pour l'instant). Et ce qu'ils veulent, c'est de la plomberie pour tous ! De l'eau chaude, des sanitaires pour tous ! Quoi de plus normal ? Si l'on peut comprendre ce besoin essentiel d'avoir accès à une eau chez soi, il faut en revanche prendre toute la mesure de ce type de revendication traditionnelle. Elle consiste à avoir un meilleur niveau de vie, meilleur salaire comme meilleures conditions de vie et de travail. C'est sur ces baisses tendancielles du niveau de vie que la plupart des conflit se noue. Mais, en aucun cas, il n'est possible de considérer ces améliorations comme de purs acquis ouvriers; Il y a tout une différence à faire entre, par exemple, l'interdiction des licenciements et l'allongement de la durée de travail. L'un appartient à une perspective révolutionnaire et l'autre, de la négociation permanente. Seule est montrée dans le film, la revendication réactionnelle, autrement dit celle qui ne développe pas de volonté politique indépendante de la classe laborieuse.
Il résulte une faiblesse dans les revendications car ces revendications-là, si elles permettent de mieux vivre, elles ne permettent pas en revanche d'ôter le joug qui entretient jusqu'à maintenant les inégalités
De la solidarité et du partage de la misère, il y en a beaucoup dans le "Sel de la Terre". A tel point que l'averti ou le cynique fera passer cela pour une niaiserie gauchisante. Toutefois, le film ne s'étale pas sur un point. Un point que d'autres oeuvres ont peine à traiter ou le traite de telle façon qu'il n'y est plus question que de ça : le racisme. Le racisme, comme Dieu, est omniprésent dans le film mais les travailleurs de la mine, américains et mexicains, prennent conscience qu'ils ont les mêmes intérêts et que l'exploiteur instrumentalise leur division (notamment en cherchant à faire travailler des "jaunes", des travailleurs qui ne font pas grève). Les différences sont rapidement effacées pour laisser la place à l'union et à la connaissance des peuples travailleurs. On ne le répétera jamais assez, le racisme comme le patriotisme sont des poisons venues de la bourgeoisie pour l'unité consciente des travailleurs, pour son intégrité. Solidarité aussi, mais plus problématique et plus développée, à l'égard des femmes cette fois, tant est si bien que toute la classe ouvrière est indivisible à la fin. Ce chemin semble si salutaire que j'en oublierai l'obsessionnelle non-violence dans ce film. Un acquis incomparable et intemporel.
Et cela est certainement l'acquis dont nous avons tout à apprendre encore aujourd'hui, femmes, jeunes, handicapés, immigrés, privés d'emploi, il n'y a qu'une seule classe. Même patron, même combat.
Le plus beau des acquis, c'est la conscience de tous les travailleurs pour tous les travailleurs !