Juin 2012. Bac de philosophie. Le thème de cette année est "Qu'est-ce que la subjectivité ?". L'élève Bernard-Henri, qui vient de tripler sa Terminale Littéraire, a décidé de sortir des sentiers battus pour compenser ses mauvaises notes : au lieu de l'austère rédaction manuscrite, l'éternel cancre a fait le choix du support cinématographique : il va adapter sur la toile le "Tintin en Libye" qu'Hergé aurait tant voulu écrire.
Les points forts :
- L'élève Bernard-Henri maîtrise très bien la conjugaison, les subordonnées relatives en cascades, ainsi que l'ar-ti-cu-la-ti-on (parfois on se demande s'il ne s'agit pas d'une dictée).
- C'est plutôt bien filmé (au Canon 5D), ce qui donne un effet "reportage" incontestable.
- L'élève Bernard-Henri a beaucoup misé sur le montage, à tel point qu'on pourrait croire qu'il est quelqu'un d'influent, alors qu'il ne s'agit que de l'homme le plus entarté du monde. En fait, personne ne le connaissait en Libye. Une chance pour lui ! De plus, la crème chantilly n'est pas la spécialité du coin : le voilà rassuré.
Les points faibles :
- L'élève Bernard-Henri a oublié que le point, avant d'être son employeur (Le Point, ha ha !), est un signe de ponctuation autorisé dans la langue française servant à séparer des groupes de mots intelligibles. Ainsi il finit ses tirades quand il n'a plus de souffle, ou bien quand il a épuisé tous les adjectifs d'un champ lexical donné, ou bien quand il est sûr d'avoir endormi le spectateur. Dans la séquence où il s'adresse à la foule, son assistant ne prend même plus la peine de traduire la fin de ses propos tellement ses phrases sont longues.
- Bernard-Henri est atteint de béachélite : il commence 75% de ces phrases par "je". Le second stade de la maladie est nommé "delonisme" (toutes les phrases commencent par "il" en parlant de soi).
Au niveau de la forme, "Le serment de Tobrouk" est un mélange entre du reportage démago, du documentaire hagiographique, du nanar d'aventure, et du mondo. Le film est logiquement produit par Arte, dont le conseil de surveillance est présidé par... BHL en personne, on peut donc penser qu'aucun regard critique extérieur n'a été apporté. Le projet est spécieux, la démarche est narcissique, la narration est grandiloquente, l'analyse est manichéenne, le style est pompeux. Bref, BHL est un imposteur, un sous-philosophe qui compromet toute rigueur et honnêteté intellectuelle. Beaucoup s'en sont déjà rendu compte, mais il est bon de le répéter régulièrement, et dans l'idéal autant de fois qu'un journaliste, chroniqueur, animateur ou présentateur lui cirera les mocassins dans ces médias où il s'invite si facilement et si souvent.
Le montage est révélateur : il fait s'enchaîner des scènes, bien réelles, mais qui n'ont pas de lien direct, et leur simple juxtaposition dans le montage final laisse croire à une logique de cause à effet (pratique totalement assumée par la production), ce qui en fait finalement un film de propagande, ni plus ni moins. Maintenant reste à savoir au bénéfice de qui... Mystère !
Si vous enlevez :
- les images d'archives (beaucoup de remplissage inutile, de récupérations abusives, et bien souvent hors sujet)
- les images où BHL nous explique que les tyrans sont vraiment des méchants (insistance lourde et poussive)
- les images de BHL dans ses précédentes impostures (déluge d'auto-satisfaction, et toujours hors sujet)
- les images de BHL en voyage (BHL en Asie mineure, BHL en Afrique noire, BHL en Amérique : on se croirait dans Tintin ! Le caméraman fera office de Milou)
- les images de BHL sur des décombres, dans un désert ou au milieu de no-man's lands (comme par hasard il arrive toujours après la tempête. Et il est tellement loin de l'action qu'on ne pourrait même pas espérer qu'il se prenne une balle perdue !)
- les images de guerre filmées par des libyens et récupérées sur YouTube (ce qui lui donne l'occasion de poser en voix off ses très nombreuses et très convenues tirades anti-tyrans).
Et bien si on enlevait tout ça, il ne resterait (à peu près) que des vidéos de BHL dans des beaux salons chics en train d'expliquer qui il est à des gens qui s'endorment en l'écoutant. C'est-à-dire tous ces moments de "lobbying social" où seul l'intéresse la possibilité d'étendre son réseau d'amis pour s'en servir plus tard comme caution intellectuelle afin de parfaire son œuvre personnelle béachélienne. C'est que BHL aime les citoyens, surtout ceux qui détiennent un peu de pouvoir, ou ceux qui pourraient servir son cercle d'influence. Les autres sont bons pour remplir les images, comme des figurants participant au film (très romancé) de sa vie.
A cela il faut rajouter les scènes jouées et préparées car il faut rappeler que c'est une fiction (ou plutôt "un film d'écrivain", selon BHL), ce qui empêche d'utiliser le mot "truquage" pour critiquer ce "film" car le genre ne l'interdit pas. Aussi cela se pratique souvent en réal-politique : à l'image de son ami Bernard Kouchner qui s'empresse de revêtir une blouse pleine de sang avant l'arrivée des caméras (véridique). BHL, lui, s'entoure d'une milice factice pour vadrouiller dans des ruines inoffensives. L'écrivain au faible succès, qui transforme facilement par son récit les tirs de mitraillettes en tirs d'obus d'avions, n'est pas à une approximation près, surtout en matière de géopolitique, de stratégie militaire, ou de culture des peuples.
Mais attention, l'élève Bernard cite ses inspirations philosophiques, et tous ceux qui l'ont réellement marqués à vrai dire : j'ai nommé Bernard-Henri Lévy, BHL, B.-H. Lévy, Lévy Bernard-Henri, Nanard Levy, et bien d'autres. Encore plus sournois, et après avoir utilisé et récupéré dans le passé Sartre ou même Nietzsche pour étayer ses meuglements ou pour (essayer de) vendre ses trop nombreux étrons, le milliardaire déguisé en philosophe s'accapare ici l'image de Malraux. Il revisite aussi tous les lieux symboliques qu'il trouve sous la main, sur fond de musiques classiques symphoniques (omniprésentes tout le long du "film"). Jean Moulin, planque-toi bien au fond de ta tombe, BHL arrive !
Au-delà de la philosophie "niveau Terminale", l'inspiration du "docu-fiction" est volontairement communautariste (bien qu'implicite). En déclarant être "le représentant de la tribu d'Israël" il reconnaît ensuite s'être engagé contre le colonel Kadhafi en raison, notamment, de son appartenance religieuse. Mais malheureusement il n'a pas jugé bon de l'insérer dans le film. Lors d'un discours à RCJ (La Radio de la Communauté Juive) puis confirmé au CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), BHL a fait, sans se forcer, un aveu qui explique sans détour son intervention en Libye : "J'ai porté en étendard ma fidélité à mon nom et ma fidélité au sionisme et à Israël (...) C'est en tant que juif que j'ai participé à cette aventure politique, que j'ai contribué à définir des fronts militants, que j'ai contribué à élaborer pour mon pays et pour un autre pays une stratégie et des tactiques". (NDLR : il fallait comprendre non pas "sionisme", "Israël" et "politique" mais "Libye", "démocratie" et "philosophie". Pardonnez-lui, sa langue a dû fourcher). La vidéo du discours fut en ligne sur le site du CRIF avant d'être retirée quelques heures plus tard. On a pu voir ensuite BHL se justifier dans diverses émissions prétextant une décontextualisation de ses déclarations. Des remords ? BHL n'a "jamais de remords". Son allégeance systématique envers les intérêts de l'Etat hébreu n'étant plus un secret pour personne, BHL avait déjà souligné (plusieurs fois et explicitement) les avantages stratégiques d'Israël dans les insurrections arabes en cours. Néanmoins ce comportement semble poser problème à son entourage ; mais BHL, lui, s'en sortira comme d'habitude avec ses pirouettes verbeuses comme il sait si bien les faire. Et en dernier recours le rhéteur opportuniste sortira sa botte secrète (faute de Shoah) : que rien n'est important comparé aux dictatures des terribles tyrans qui massacrent la gentille population innocente, comme actuellement en Syrie (remplacez "Syrie" par tout autre pays en crise grave en fonction du contexte géopolitique actuel).
Une dizaine de personnes sont créditées au générique dans la catégorie "Recherche" (??). En effet, on peut imaginer que toute une équipe d'experts a été réquisitionnée (et a sûrement dû s'étoffer au cours du montage) car il a été certainement très difficile de trouver des liens entre la réalité des faits et les agissements du pseudo-philosophe. D'autres cherchent encore l'importance, ni même l'intérêt du personnage dans la sphère géopolitique actuelle, ou passée. BHL n'est qu'un simple parasite au carnet d'adresse très fourni.
Exemples de parasitages :
- lors du feu vert donné par le conseil de sécurité à l'intervention armée : le faux prophète BHL, qui jugeait auparavant impossible un tel accord, cherche toujours à détourner ou court-circuiter les stratégies de l'OTAN au profit de sa gloire personnelle, en échappant de peu à l'incident diplomatique.
- ses déplacements en France, au Sénégal, en Turquie et aux États-Unis pour faire reconnaître le CNT (Conseil National de Transition) sont, avec le recul qu'on a aujourd'hui, une goutte d'eau dans le processus de libération, par contre ces interventions prématurées ont participé, entre autres, à la déstabilisation de l'équilibre subsaharien (en particulier le Mali).
- concernant l'armement des rebelles : si on regarde bien, son intervention n'a servi à rien : il était au bon endroit au bon moment, la caméra tournait, voilà tout.
Les images sont trompeuses, et la démarche mensongère (assumée et justifiée par la production, qui plus est). Cela relève du viol intellectuel. L'affabulateur en série fait même semblant de s'étonner que ses "nouveaux amis" libyens, une fois au pouvoir, n'appliquent pas ce qu'il attendait d'eux (par exemple l'instauration de la charia). Il démontre ainsi lui-même la preuve de son inutilité.
Hautain, et suffisant, il se fait la critique des politiques, des tyrans, et des rebelles aussi... bref, seul BHL n'est pas critiquable car il est au-dessus de tout : c'est le Messie, qui, venant d'Israël "vient par la mer sauver la Libye" (sic, c'est même dans la bande annonce). Bernard-Henri lévite (celle-là elle est de moi par contre). Il se fait même Prophète en insérant des "je l'avais dit", ou des "vous verrez bien". Oubliez les ministres des Affaires Étrangères, les ambassadeurs, les stratèges militaires... BHL s'occupe de tout. Et tout ça gratuitement, au nom de la démocratie et contre les méchants tyrans. Au fait... merci BHL !
Mais au-delà de la trame "tintin et milounesque", BHL, au niveau de la forme, se réapproprie aussi (puisque c'est la seule chose qu'il sait faire) des codes du cinéma d'aventures. Franchement, il fallait oser. Tout d'abord "façon Indiana Jones" : à chaque étape on découvre le tracé qui évolue sur une vieille carte géographique de la région, ensuite il va à la rencontre de "contacts" (qui deviennent ses "amis") dans des coins inattendus, et surtout on ne le voit jamais se raser ni prendre sa douche (Arielle l'adore quand il est tout en sueur !). Dans un autre style plus James Bondesque, on le voit alterner entre salons ultra-chics mondains et immeubles bombardés entourés de (faux) snipers, ou bien marcher dans le sable sans aucune protection sur ses mocassins vernies (il prend vraiment tous les risques le Nanard !). Que ça soit dans des jeeps de rebelles (qui le mènent n'importe où pourvu que la caméra continue de tourner) ou dans des QG improvisés stratégi-comiques (où il emprunte un air pénétré en fixant des cartes géographiques), BHL 007 use constamment le même smoking Armani, toujours élégant et impeccable ; et je ne vous parle pas de l'inévitable chemise blanche (torse et manchettes déboutonnés) qui est devenue sa marque de fabrique par excellence, ni de son brushing de plus en plus caricatural. Le Ridicule est à son paroxysme.
Autre rigolade, avec cette fois-ci Nicolas Sarkozy. Ce dernier a assisté à une projection privée en compagnie de BHL dans un cinéma parisien : on imagine alors BHL regardant Sarkozy qui regarde le film de BHL où apparaît Sarkozy qui félicite BHL. Double orgasme ! Par ailleurs, l'historien chevronné qu'est Sarkozy, nous affirme que c'est la première fois dans l'histoire qu'un dictateur bombarde son peuple avec ses propres avions. Mais ce n'est pas BHL qui contredira son principal levier politique et qui lui rappellera qu'un certain 11 septembre 1973, en coopération avec les États-Unis, Pinochet décidait de bombarder le lieu de repli de Salvador Allende avec les avions de l'armée chilienne, désormais sous ses ordres. Au contraire, le "docu-fiction" soigne l'image des américains ; d'ailleurs le producteur Harvey Weinstein compte exploiter le film outre-atlantique. Selon lui "ce film magnifique montre l'incroyable courage de BHL et la force de l'ancien président français Nicolas Sarkozy, et met également en lumière le leadership inestimable du président Barack Obama et de la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton". La boucle est bouclée. Mais qu'on ne s'y trompe pas : l'aventurier de salons qu'est Bernard-Henri ne fait "jamais de politique, jamais" !
Le journaliste Pascal Boniface (Nouvel Observateur) résume bien la situation : "L'enjeu du débat sur le "Serment de Tobrouk" ne porte pas seulement sur l'égo puéril et ridicule de BHL. Il porte sur une information respectueuse du public sur des sujets stratégiques essentiels. Le problème de BHL n'est pas qu'il ait l'âge mental d'un enfant de huit ans doté de moyens financiers colossaux lui permettant de réaliser ses caprices. C'est la manipulation de l'information à laquelle il se livre". Mais face à d'autres très nombreuses mauvaises critiques le producteur du film, François Margolin, vient à la rescousse (dans le même Nouvel Observateur) pour défendre l'œuvre du Génial. Les comparaisons sont abusives : Raymond Depardon, Jean Rouch, Edgar Morin. Même Gilles Deleuze, Charlie Chaplin, Buster Keaton sont cités en référence afin de justifier l'utilisation du mensonge au cinéma (improbable !). Évidemment le cinéma documentaire n'est jamais objectif, mais de là à devenir complètement subjectif, c'est un autre problème ; un problème d'ego démesuré, justement, à qui il a manqué quelques paires de baffes, très vives et bien appuyées. Il devient alors difficile pour le proche entourage du Grand Condescendant Bernard-Henri de trouver matière à le mettre en valeur sans avoir à mentir. Même Anne Sinclair, son "amie de 35 ans", lâche (avec quelques nuances et détours) l'adjectif "narcissique", c'est dire. A la fin du film, après le générique, on le voit se prendre une grosse tarte à la crème dans la gueule... non, je plaisante, c'est encore un de mes fantasmes.
Toujours est-il que des atteintes aux droits de l'homme et les tortures continuent d'être pratiquées en Libye, et à grande échelle. BHL a dénoncé ces pratiques (mais de loin cette fois), et tout comme Amnesty International et Médecins Sans Frontières, il a mis fin à ses activités en Libye. La défense de la démocratie, ça va un moment... Et surtout ne lui dites pas qu'il traite inéquitablement les drames humanitaires à travers le monde ! Le gentleman-charlatant n'a pas le temps de peaufiner... Prochaine étape : la Syrie. Mais c'est plus compliqué cette fois, car la manœuvre de l'imposteur en philosophie est maintenant connue. D'ailleurs, trois intellectuels de l'opposition syrienne ont déclaré : "Bernard-Henri Lévy, épargnez aux Syriens votre soutien !". Dans son prochain film "Le Serment de Homs" (avec Francis Huster dans le rôle principal... allez on peut rêver, merde quoi !) BHL nous montrera sûrement les images de ses réunions parisiennes de soutien au peuple syrien, en gros un casting franco-français composé de Laurent Fabius, Bernard Kouchner, Xavier Beauvois et Rama Yade. Pas d'acteurs syriens cette fois : la populace locale n'a pas voulu participer à son cirque médiatico-géopolitique. Mais le calendrier est bien calculé : le "Serment de Tobrouk" sort juste pour le festival de Cannes (...un vrai hasard, juré !). Ce qui permet au modeste et discret cinéaste de fouler le tapis rouge, accompagné de deux acteurs (jusqu'à preuve du contraire) déguisés en syriens et d'en remettre une couche devant les caméras. Ce qui rejoint la pensée (désormais totalement acquise) de Jacques Bouveresse : "Les nouveaux philosophes (...) ont choisi dans toute la mesure du possible de contourner le jugement des universités et de la science pour aller s'abriter sous le parapluie des médias et de l'importance médiatiquement conquise".
BHL voyage à New-York, Istanbul, Dakar, Jérusalem, Cannes... Et merde, quoi ! c'est la seule fois dans l'année où il peut s'offrir des vacances sans avoir à supporter les chants de sa barbie siliconée (la Dombasle). Mais quand tout cela sera terminé, il pourra aller se retirer à Marrakech dans sa somptueuse villa, car heureusement là-bas c'est la démocratie... enfin, pas encore... Mais Bernard va nous arranger ça ! Pas vrai Nanard ? Et il pourra, plus tard, raconter à ses petits enfants : "...vous auriez vu ! des moustiques grands comme ça !"
S'il continue ainsi l'élève Bernard-Henri risque fort de quadrupler sa classe de Terminale Littéraire ! Il faudra peut-être penser à une réorientation du jeune Bernard-Henri (qui commence à se faire vieux) : un BEP en Mécanique, par exemple, pour le faire bosser un peu à la chaîne en 3\8, et pour lui faire comprendre que des tyrans il y en a ailleurs qu'en Libye ou en Syrie ; ils sont moins méchants mais vachement plus nombreux !
"Entartons, entartons les pompeux cornichons !" (Noël Godin)