Le chevalier noir

Quel plaisir de revoir ce film bondissant, c'est d'un charme irrésistible et c'est le genre de film qui vous fait revivre un rêve d'enfant ou qui réveille un vieil émoi de spectateur en remuant ses souvenirs, car j'ai dû le voir la première fois très jeune, puis une seconde fois à la Dernière séance ou au Cinéma de Minuit...

Tout d'abord, une précision : certains rangent ce film dans les westerns, attention ce n'est pas un western, l'action se passe en 1820 dans la Californie espagnole, territoire qui appartenait alors au royaume d'Espagne, on est donc loin de la période classique du western (années 1880).

Avant Guy Williams, Alain Delon et Banderas, il y eut Tyrone Power qui incarna le justicier tout de noir vêtu, qui aurait semble-t-il, inspiré les créateurs de Batman. Power a 26 ans en 1940, il est alors en pleine ascension de gloire, il venait de connaitre un gros succès l'année précédente avec le Brigand bien-aimé de Henry King, il va enchaîner une série de rôles ethniques que son physique un peu hispanique favorisait, puisqu'après ce Zorro, il tourne Arènes sanglantes, remake d'un film muet avec Rudolf Valentino sur le destin d'un torero, puis plus tard, il sera un fier conquistador dans Capitaine de Castille (encore de Henry King) ou un sbire italien dans Echec à Borgia (encore de Henry King). Tyrone était donc l'interprète idéal pour Zorro, il est alors le grand rival d'Errol Flynn qui tournait des films similaires, tous deux auront le même panache, le même côté bravache et parfois fanfaron, et ici, Tyrone a la grande classe dans ses élégants costumes espagnols.

Le scénario est adapté du roman "the Curse of Capistrano" de Johnston McCulley, écrit en 1919, c'est le remake du Signe de Zorro de Fred Niblo en 1920, avec Douglas Fairbanks, mais en beaucoup plus flamboyant, car malgré le handicap du noir & blanc, Mamoulian déploie une mise en scène tonique et fluide, c'est même tellement tonique et rapide que le héros n'apparait en Zorro que dans 3 scènes ; le film n'est pas très long (93 mn), on peut le regretter un peu, un développement plus consistant aurait été bienvenu. Aussi, Tyrone Power peut jouer entre 2 personnages, en faisant passer Diego Vega pour un hidalgo un peu efféminé qui méprise l'escrime. Mais ceci est compensé par un vrai méchant, autoritaire et arrogant incarné par Basil Rathbone, un des meilleurs escrimeurs d'Hollywood, qui s'était d'ailleurs frotté en 1938 à Errol Flynn dans les Aventures de Robin des Bois. La scène de duel final entre Power et Rathbone est à ce titre un véritable modèle du genre, où Mamoulian réussit à capter tous les mouvements dans un décor assez étroit, c'est du grand cinéma.

Le reste du casting est excellent, entre la délicate et ravissante Linda Darnell (on retient aussi une superbe scène de danse hispanique entre elle et Power), et le truculent frère Felipe incarné par l'amusant Eugene Pallette (qui incarnait frère Tuck auprès de Flynn dans les Aventures de Robin des Bois). Pour enrober ce bel écrin, la musique d'Alfred Newman est virevoltante.

On peut dire que Tyrone Power aura marqué pour longtemps le personnage de Zorro au cinéma, et ce malgré la série Disney de 1959 avec Guy Williams ; c'est la version de référence qui d'ailleurs fit naître la mythologie Zorro et marqua le véritable départ de l'engouement de la jeunesse pour ce héros, on vit ensuite des jouets, des panoplies, des BD consacrés au héros masqué, puis nombre de sérials et de versions pour le cinéma, le héros sera même parodié dans la Grande Zorro en 1981 où George Hamilton composait un Zorro gay. Mais le Signe de Zorro de 1940 reste à tout jamais un grand classique indémodable.