Pour le plaisir du suspense, on repassera!

C'est une histoire simple, tragique et d'un réalisme glaçant: celle de Lorna, une jeune Albanaise venue réclamer en Belgique une petite part du gâteau de l'économie globalisée. Elle ne demande pas beaucoup, quelques milliers d'euros pour acheter le snack-bar de ses rêves avec son amoureux. Et pour cela elle est prête à tout: obtenir la nationalité belge en épousant un toxicomane, puis divorcer au plus vite et contracter un autre mariage blanc, contre rémunération, avec un truand russe. Prix du scénario au festival de Cannes de 2008, Le silence de Lorna, cinquième long métrage des frères Dardenne, n'est pas une œuvre facile. Et que l on soit familier du cinéma austère et frontal des auteurs de Rosetta n'y change rien. On ressort de la vision de ce film d'une confondante noirceur avec des sentiments contrastés. On reste fasciné par la rigueur des deux cinéastes belges qui ont su imposer leur langage personnel, héritage de Bresson et de Pialat, à travers des fables humanistes bouleversantes dont Le Fils reste le meilleur exemple. Mais on peut aussi se sentir frustré par la froideur à l’œuvre dans Le silence de Lorna. Pour leur premier métrage scénarisé, les Dardenne filment en plans larges, dans une lumière fade et triste, comme si le cynisme des protagonistes (il n y a guère que Jérémie Renier, extraordinaire dans le rôle du junkie, qui inspire la commisération) nécessitait une prise de distance tant morale qu'esthétique . Et même si l'on est touché par le personnage ambigu et terriblement humain de Lorna, interprété avec un naturel confondant par la débutante Arta Dobroshi, les béances (volontaires) d un scénario qui refuse les conventions du film noir empêchent toute identification, créant un malaise qui persiste bien au-delà de la projection. Pour des moralistes dérangeants comme les Dardenne, c'est sans doute le but recherché. Mais pour le plaisir du suspense, on repassera !


(critique écrite à la sortie du film)

SteinerEric
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le 7 août 2024

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Eric Steiner

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