L'étrange cas du Docteur Hannibal et Miss Starling

Ce que j'aime dans ce film ce n'est pas tant le thriller et l'histoire de crime - attention, ces aspects là du film sont absolument parfaits mais c'est d'abord l'ambiance glauque à souhait, la manière qu'a le réalisateur de filmer la campagne américaine et la nuit en les rendant décadentes, sales et misérables qui sont remarquables. En cela, le film s'inscrit dans la lignée de nombreuses oeuvres américaines, où la réalité des turpitudes de la nature humaine reprends le dessus sur toute forme de civilisation. Il filme volontiers le brouillard, le froid, des bâtiments industriels hideux, des rues défoncées, des villages à l'ambiance funeste. Le film s'oppose à la tradition américaine du transcendantalisme, à savoir une nature harmonieuse et rayonnante. Ici, le temps et le climat sont toujours maussades, la nature, misérable, décharnée, froide, avec des paysages d'hiver, de la boue, des cloaques.


Et l'histoire de Clarisse Starling va dans ce sens, la nature représentant l'état social et la psychologie des personnages, comme le souligne Hannibal Lecter :



"Vous savez à quoi vous ressemblez avec votre sac à main et vos chaussures bon marché ? À une fille de ferme, une fille de ferme endimanchée, sans le moindre bon goût. Une alimentation correcte a fait de vous une fille solide mais vous n'êtes pas à plus d'une génération de la pauvreté crasse. N'ai-je pas raison agent Starling ? Et cette origine que vous essayez désespérément de cacher, vous venez du fond de la Virginie. Que fait votre père ? Est-ce qu'il descend dans la mine ? Est-ce qu'il empeste le charbon ? Et les garçons qui n'arrêtaient pas de vous sauter dessus, tous ces tâtonnements pénibles et moites à l'arrière des voitures pendant que vous ne rêviez que de partir, de vous sortir de là et d'entrer enfin au FBI."



Le film, plus qu'un polar basique, s'attarde sur ces considérations psycho-sociologiques. C'est une sorte de mise à nu des personnages au travers des entretiens entre le criminel fou et manipulateur Hannibal Lecter et la jeune prodige du FBI Clarisse Starling, chargée d'élucider, à l'aide de Lecter, ex-brillant psychiatre, une sordide affaire de crime. Cette dernière est d'ailleurs un prétexte à la rencontre entre les deux personnages charismatiques que tout semble opposer. Et pourtant... Il va de soi que Hopkins est effroyable dans ce rôle de criminel. Son personnage à lui tout seul est devenu un archétype de méchant, il a inspiré une ribambelles de films. Il crève l'écran. A tel point qu'il fait peur, il semble manipuler le spectateur autant que la jeune Clarisse. Cette dernière, interprétée par Jodie Foster - une actrice que j'adore - est touchante, ne serait-ce que pas son histoire et ses origines mais aussi par sa force et sa détermination. Le criminel recherché durant tout le film souffre aussi d'un problème d'identité, identité symbolisé par le Sphinx, ce papillon rare et magnifique, dont un cocon est toujours déposé dans la gorge des victimes. Et le seul capable de faire les ponts, de faire les liens, par la psychologie, c'est Hannibal, a priori le moins fiable et pourtant le plus lucide.


Le film est précisément en cela amoral. Il sacralise quasiment Hannibal Lecter, qui est aussi génial que terrifiant. Il résout l'affaire, en grande partie. Les sous-entendus dans la mise en scène et dans les dialogues tendent à montrer une admiration de Starling pour le docteur et vice-versa. De cette relation, totalement improbable, découle la résolution d'une affaire de crime et la promotion de la jeune agent du FBI. La film parle aussi de la solitude, du silence. Hannibal fournit des informations pour avoir un contact humain avec une jeune femme, simplement pour cette raison, de manière presque désintéressée. Clarisse Starling est elle aussi, seule, orpheline. Le tueur recherché l'est tout autant, dans une immense maison, avec pour seule compagnie son chien et ses papillons. Solitude que la nature, immense et exaspérante ne fait que renforcer.


Le Silence des Agneaux est donc pour moi un des meilleurs films du genre thriller : une intrigue terrifiante, un personnage secondaire monstrueux et charismatique, un style et une ambiances géniaux, une photographie excellente. Bref, la perfection dans le genre ; une profondeur dans les personnages, une psychologie incarnée dans les décors, des phrases mystérieuses ou mythiques :



J'ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un excellent chianti.



On aime Hannibal, malgré nous.

Tom_Ab

Écrit par

Critique lue 888 fois

D'autres avis sur Le Silence des agneaux

Le Silence des agneaux
DjeeVanCleef
8

Docteur Folamour

L'enfermement claquemure le corps comme s'il était dans un cercueil. J'ai négocié mon apparence pour donner le change, ils me prennent pour un homme, un petit tas de poussière. Un des leurs. Ma boîte...

le 7 juil. 2014

95 j'aime

Le Silence des agneaux
B_Jérémy
10

Plan canicule Nº5 "Manger léger !!!" (5/6)

-Je vous offre toute l'étude du comportement de Buffalo Bill basé sur une enquête minutieuse. Je vais vous aider à le coincer Clarice. -Vous savez qui il est n'est-ce pas ? Docteur dites-moi qui...

le 30 juin 2019

65 j'aime

54

Le Silence des agneaux
vincentbornert
5

Docteur Lecter ... et les autres

Le Silence des Agneaux est un de ces films dont l'absence dans une collection de DVD n'est pas pardonnable. Beaucoup le vendent comme un modèle de polar. Alors intéressons nous à la légitimité de...

le 2 nov. 2013

52 j'aime

6

Du même critique

La Passion du Christ
Tom_Ab
8

Le temporel et le spirituel

Le film se veut réaliste. Mais pour un film sur le mysticisme, sur un personnage aussi mythique, mystérieux et divin que Jésus, il y a rapidement un problème. Le réel se heurte à l'indicible. Pour...

le 26 déc. 2013

63 j'aime

4

The Woman King
Tom_Ab
5

Les amazones priment

Le film augurait une promesse, celle de parler enfin de l’histoire africaine, pas celle rêvée du Wakanda, pas celle difficile de sa diaspora, l’histoire avec un grand H où des stars afro-américaines...

le 7 juil. 2023

52 j'aime

5

Silvio et les autres
Tom_Ab
7

Vanité des vanités

Paolo Sorrentino est influencé par deux philosophies artistiques en apparence contradictoires : la comedia dell'arte d'une part, avec des personnages clownesques, bouffons, des situations loufoques,...

le 31 oct. 2018

30 j'aime

4