Le Silence des autres par Christine Deschamps

J'ai toujours apprécié ces documentaires historico-juridiques qui font le point sur un imbroglio en cours depuis parfois des années, notamment quand ils concernent les dictatures du monde hispanique. J'ai des bases solides sur celles du Chili, d'Argentine et, bien sûr, de Franco. Mais, parfois, le temps des tribunaux est si long qu'on perd un peu le fil. Ce documentaire revient sur la Loi d'Amnistie espagnole, qui pouvait sembler un mal nécessaire au début, mais s'est montrée particulièrement toxique à la longue. Comme les autres sociétés ayant fait le choix de l'oubli en guise de réconciliation nationale, l'Espagne fait face à présent au désir de justice des perdants, parfois forcés d'habiter dans la même rue que leurs anciens tortionnaires devenus notables, contre toute décence. Les 40 ans qui séparent à présent les espagnols de la mort de Franco n'ont pas permis de cicatriser les plaies et certains de nos voisins ibères cherchent encore vainement les restes de leurs chères dépouilles tandis que d'autres continuent à trouver légitime de défiler en troupeau le bras en l'air. Au milieu de tout ça, la jeune génération, si elle ne bénéficie pas d'un enseignement particulier au sein des familles, se retrouve quasiment spoliée de son passé. Les micro-trottoirs le démontrent. Ce sont les vainqueurs qui écrivent normalement l'histoire, mais les lois d'amnistie (ou de point final, ou d'obéissance due ou d'on efface tout et on va à la ligne, comme on les a parfois appelées pour ne pas avoir à avouer qu'on protégeait des criminels) biaisent également la transmission de la mémoire en confondant amnistie et amnésie. Ce magnifique documentaire, articulé autour de quelques figures remarquables (notamment deux grands-mères qui symbolisent à elles deux ce que l'Espagne présente de meilleur, celle des villes et celle des champs, admirables résistantes qui n'ont jamais baissé les bras et attendent avec la foi du charbonnier que les poules aient des dents, ou, comme on dit outre-Pyrénées, que les grenouilles voient leurs cheveux pousser...) suit les démêlés juridiques récent des plaignants, qui souhaitent exhumer leurs disparus des fosses communes du franquisme, avec, en contrepoint des images écœurantes de ce fascisme de pacotille qui continue à revendiquer, mâchoires serrées et menton arrogant, sa mainmise sur le destin de son pays. Il y aurait beaucoup à dire sur ces héritiers du régime sanglant du petit dictateur à la voie grêle... ni la démocratie ni le temps ni l'impunité n'ont pu extirper la haine de ces cœurs d'airain. Restent les témoignages rares des victimes de l'intolérance politique, sociale et religieuse qui règne dans les régimes autoritaires, ces voix dignes qui continuent à s'élever, malgré l'indifférence générale, pour proclamer la grandeur de l'être humain au milieu de l'imbécilité crasse qui revendique tous les pouvoirs. Elles émergent dans ces documentaires exemplaires et nécessaires, comme des fleurs lançant leurs tiges résolues dans la boue des premiers jours du printemps. Quelque part, dans un autre pays meurtri, une juge résolue à la volonté d'acier était là pour les écouter...