Une épopée visuelle et humaine à couper le souffle

(8.5/10)

Sorti en 2021 et réalisé par Patrick Imbert, Le Sommet des dieux est un film d’animation français qui adapte le manga éponyme de Jirô Taniguchi, lui-même inspiré du roman de Baku Yumemakura. Ce long-métrage d'animation, qui explore à la fois la quête de vérité et la passion dévorante de l’alpinisme, nous emmène dans une aventure à la fois majestueuse et intérieure, avec en toile de fond l’une des montagnes les plus redoutables du monde : l’Everest.


Le Sommet des dieux se distingue par la beauté saisissante de son animation, la profondeur psychologique de ses personnages et une exploration intense des thèmes de l’obsession, de la quête existentielle et du défi face à la nature. Ce film, bien plus qu’une simple histoire d’aventure, propose une réflexion sur la motivation humaine, la recherche de l’exploit, et la frontière ténue entre grandeur et folie.


Le film suit le parcours de Fukamachi, un photojournaliste qui, par hasard, tombe sur un vieil appareil photo supposé avoir appartenu à George Mallory, célèbre alpiniste britannique disparu en 1924 lors d'une tentative de conquête de l’Everest. L’appareil pourrait bien contenir la réponse à une question qui hante le monde de l'alpinisme depuis près d’un siècle : Mallory a-t-il atteint le sommet avant de disparaître ?


Fukamachi, obsédé par cette découverte, part à la recherche de Habu Jôji, un mystérieux alpiniste solitaire et énigmatique qui semble être le dernier à avoir eu l’appareil en sa possession. À travers cette quête, Le Sommet des dieux tisse une réflexion fascinante sur la nature de l’ambition humaine, la quête de vérité, et l’obsession qui pousse certains individus à braver les pires dangers pour atteindre un objectif, aussi insaisissable soit-il.


L’intrigue du film alterne entre le passé et le présent, mêlant les histoires personnelles de Fukamachi et de Habu, deux hommes que tout semble opposer, mais qui partagent une même fascination pour l’altitude et les mystères de la montagne. Le mystère autour de la disparition de Mallory, bien que central au récit, devient presque un prétexte pour explorer les thèmes plus universels de la quête existentielle et du dépassement de soi.


L’un des atouts majeurs de Le Sommet des dieux réside dans la qualité exceptionnelle de son animation. Patrick Imbert, qui avait déjà montré son talent dans Le Grand méchant renard et autres contes (2017), livre ici une œuvre visuellement époustouflante. Chaque plan, chaque séquence, est imprégné d’une attention minutieuse aux détails, que ce soit dans les paysages montagneux, les textures de la neige, ou les expressions des personnages.


Les scènes d’escalade sont particulièrement impressionnantes. L’animation parvient à retranscrire avec une précision quasi documentaire la complexité des gestes techniques, la difficulté de la progression en haute altitude, mais surtout la tension et le danger omniprésent de l’alpinisme. Le spectateur ressent la même vertige que les personnages face à l'immensité de la montagne, et chaque ascension devient une épreuve de survie où la moindre erreur peut s’avérer fatale.


L’utilisation de la lumière et des contrastes dans les paysages enneigés ajoute une dimension presque mystique à l’Everest, qui apparaît tour à tour comme un adversaire redoutable, un sanctuaire silencieux et une entité vivante, indifférente aux ambitions humaines. Cette représentation de la montagne, à la fois majestueuse et impitoyable, est l’un des éléments les plus marquants du film, et participe à l’atmosphère contemplative qui en émane.


Au-delà de l’aspect visuel, Le Sommet des dieux brille par sa manière de traiter ses personnages et les questions philosophiques qu’ils incarnent. Le film explore la psyché des alpinistes, ces hommes prêts à risquer leur vie pour atteindre un sommet, même si cette quête les conduit à l’isolement, voire à la mort.


Habu Jôji, interprété comme un personnage taciturne et mystérieux, incarne cette figure de l’alpiniste solitaire, habité par une obsession presque métaphysique pour la montagne. À travers lui, le film interroge la motivation de ceux qui choisissent de tout sacrifier pour accomplir un exploit personnel. Est-ce le désir de gloire ? Une volonté de se prouver quelque chose à soi-même ? Ou simplement l’incapacité de vivre autrement ? Habu est un personnage fascinant parce qu’il est à la fois un héros et une figure tragique, condamné par son propre désir de grandeur.


Fukamachi, en revanche, est un personnage plus ancré dans la réalité. En tant que journaliste, il incarne l’homme moderne, plus pragmatique, mais qui se laisse progressivement emporter par l’attrait de l’inconnu et par l'histoire de Habu. Sa quête pour retrouver Habu et comprendre ses motivations devient aussi une réflexion sur sa propre vie, ses propres choix, et l’envie de donner un sens à son existence.


À travers ces deux personnages, Le Sommet des dieux aborde des questions universelles sur la nature de l’ambition, la solitude, et la confrontation avec ses propres limites. Le film ne glorifie pas l’alpinisme, mais il en montre la dimension spirituelle, presque mystique, tout en rappelant le prix à payer pour ceux qui s’aventurent trop près du sommet.


La bande-son de Le Sommet des dieux, composée par Amine Bouhafa, complète à merveille l’atmosphère contemplative et épique du film. Elle accompagne les ascensions des personnages sans jamais surcharger les scènes, laissant parfois place au silence absolu, accentuant ainsi la solitude et le danger auxquels les alpinistes sont confrontés. Les moments où la musique se fait plus présente sont ceux où les personnages sont le plus en communion avec la montagne, ou au contraire lorsqu'ils sont en proie à des moments de doute et de fragilité.


Cette utilisation subtile de la musique contribue à rendre l’expérience du film encore plus immersive. Le spectateur est transporté à travers les immensités glacées, ressentant autant l’émerveillement que l’effroi face à la puissance de la nature. Le silence, souvent présent dans le film, est tout aussi important que la musique, car il traduit à la fois l’indifférence de la montagne et la petitesse de l’homme face à cet environnement colossal.


Si Le Sommet des dieux est une œuvre impressionnante sur le plan visuel et philosophique, son rythme, lent et introspectif, pourrait ne pas convenir à tous les spectateurs. Le film prend le temps de développer ses personnages et de s’attarder sur les détails de leurs motivations, ce qui peut parfois donner l’impression que l’intrigue progresse lentement. De même, l’alternance entre les flashbacks et le présent peut perturber ceux qui s’attendent à une narration plus linéaire et plus centrée sur l’action.


Cependant, cette lenteur apparente fait partie de l’essence même du film. Elle reflète le rythme de l'alpinisme, où chaque pas est une épreuve, et où l'ascension vers le sommet est aussi une métaphore de l’exploration intérieure. Les pauses contemplatives, les moments de silence, et les regards introspectifs des personnages permettent au film de s’attarder sur les thèmes existentiels qu’il aborde : la solitude, l’ambition, et la quête de sens dans un monde parfois hostile et indifférent.


Sans révéler la fin, il est important de souligner que Le Sommet des dieux ne cherche pas à donner une réponse définitive aux questions qu’il pose. Le mystère de George Mallory reste en partie irrésolu, tout comme les motivations profondes de Habu. Le film laisse au spectateur la liberté d’interpréter ce qu’il voit, de réfléchir aux choix des personnages, et de se poser la question de savoir si la quête du sommet est une fin en soi ou un moyen de se confronter à ses propres limites.


Cette conclusion ouverte, bien que frustrante pour certains, est en réalité en parfaite harmonie avec le propos du film. Le Sommet des dieux n’est pas un film qui cherche à délivrer des vérités absolues, mais plutôt une œuvre qui invite à la réflexion sur la condition humaine et sur les choix qui définissent notre existence.


Le Sommet des dieux est une œuvre d’animation remarquable qui transcende le simple film d’aventure pour offrir une réflexion profonde sur l’obsession humaine, la quête de sens, et la confrontation avec la nature. Grâce à une animation sublime, une bande sonore envoûtante, et des personnages complexes, Patrick Imbert livre un film à la fois introspectif et épique.


Bien que le rythme contemplatif puisse diviser, Le Sommet des dieux mérite d’être vu pour son approche unique de l’alpinisme, non pas comme un simple exploit physique, mais comme une métaphore de la quête existentielle de chacun. C’est un film qui invite à la réflexion et à l’introspection, tout en émerveillant par la beauté de ses paysages et la puissance de ses émotions.

CinephageAiguise
8

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il y a 15 heures

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