Le jeune Laurent Chevalier semble être un avatar du cinéaste, qui s’empare de la suspension morale chez l’adolescent comme d’un garde-fou à partir duquel représenter le trouble sexuel d’un être entre deux âges, tiraillé entre l’innocence de l’enfant et la maturité de l’adulte, écart que reconnaissent volontiers divers personnages rencontrés, des femmes matures fréquentant la maison close au père Henri qui caresse la cuisse du petit pécheur. Louis Malle investit le milieu bourgeois de la plus détonante façon qui soit, opposée à l’approche d’un Claude Chabrol par exemple : il en fait un espace où l’ordre moral se renverse, où les frères comparent la taille de leur sexe et abordent des thématiques aussi variées que le suicide, où la mère trompe sans vergogne son mari sous les yeux des passants, des enfants et de la gouvernante, où le mari tente de reconquérir le lit conjugal, bien trop étroit pour deux personnes, où le jazz enfin, modernité musicale et révolte sociale, relie les séquences entre elles.
Le long métrage prend des allures de comédie de mœurs, et son audace tient alors au regard respectueux porté sur la vie privée, notion chère au cinéaste, au contact de normes sociétales et de valeurs morales tour à tour contraignantes et hypocrites. La relation incestueuse qui se construit pas à pas entre mère et fils est traitée avec un naturel et une douceur qui déconcertent, reflet de deux époques – puisque les années 70 dialoguent avec les années 50, temporalité revendiquée de la diégèse – disposant chacune de sa réglementation morale distincte. Le Souffle au cœur reste ainsi en mémoire pour l’atomisation de la définition consensuelle de l’adolescence, rétablie dans sa complexité et dans son trouble fondamentaux. Un grand film, malgré quelques longueurs.