Remake de Plein Soleil (avec la révélation Alain Delon) qu’il dépasse, dont il se dissocie surtout, Le Talentueux Mr.Ripley raconte l’histoire d’un imposteur. Tom Ripley (Matt Damon) est un jeune homme ambitieux, affable, mais aussi évanescent. Un riche américain l’envoie en Italie pour tenter de ramener son fils. Là-bas, auprès de ce bellâtre flambeur dont il devient ami (et plus encore, assistant), il découvre une vie de facilités.
Le grand argument du film, c’est ce personnage étrangement vide et parfaitement adaptable, souple et manipulateur, dont nous voyons les masques à l’œuvre. Tom Ripley est sympathique ; et en même temps, sa vacuité, sa proximité, sont gênantes. Ce fantôme dévoué, ce faible est en train de nous absorber et se fait des films dont nous sommes le héros.
Sa simple présence inspire des sentiments contrastés : il est à la fois soporifique, aimable, quelconque ; et en même temps, cette présence est lourde, pénible. Son caractère modulable le rend dérangeant, sa gentillesse absolue, son attitude toujours lisse et horizontale, irritant, creux. Malsain. Sa confusion des rôles atteint un très haut degré ; par exemple, c’est en imitant son père qu’il annonce à Jude Law qu’il est là pour lui, basculant d’une connivence calculée à une transparence trop brutale. C’est ainsi que tout inoffensif, voir légèrement minable, qu’il est, Ripley tétanise par sa froideur et son artificialité fondamentales.
Par sa stature morale, son abyme existentiel, son attitude intrusive ; il fascine et répugne. C’est une sorte de narcissique efficace et pauvre, réussissant tout, mais sans jamais avoir le moindre charme – mais on a une certaine bienveillance à son égard, tellement il s’applique à l’imiter, ce charme, cet esprit, tellement il s’efforce ostensiblement d’avoir une contenance. On ne peut pas rejeter un faible qui aspire à se dépasser et y travaille avec succès.
Le spectateur, d’abord fondamentalement emphatique ; éprouve une jouissance à voir le personnage sur le fil, pressé de surmonter ses mensonges. En somme, son enfermement n’est qu’un ajustement naturel pour encadrer cette nature fragile, délétère et sordide : qu’il soit piégé dans son vide est presque réjouissant, car pour un parasite insidieux de la sorte, il n’y a pas d’autre place. Sinon, il ne ferait que contaminer : les autres, les objets, le sens, ils les ponctionnerait tous, pour les rendre exsangues, sans avoir gagné lui-même.
Au-delà de ce portrait, le suspense est permanent, c’est celui des meilleurs thrillers, combinant contrefaçons psychologiques, machiavélisme et personnages toujours à l’épreuve. Comme dans Plein Soleil, le cadre exotique contribue à enchanter la séance ; toutefois, le film de Anthony Minghella est plus expressif et soigné encore. C’est une balade en Italie, dont à Venise ; et surtout, l’ambiguïté sexuelle du personnage (affichée dans le roman de Patricia Highsmith) est ouvertement clamée, puis carrément explicitée, là où Plein Soleil était davantage feutré, sinon aveugle.
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