Ce qui passionne Haneke c’est la nuit, le mystère de la nuit. Des postures figées, à peine visibles, des éclairs dans l’obscurité, un feu de camp sur une voie ferrée. Un village d’apocalypse où l’on attend un train qui ne vient pas. Un champ infini, pesant, dévoré par la pénombre, au point d’en faire parfois disparaître la couleur. La transformation en noir et blanc d’une séquence à l’autre, voire au sein même d’un plan n’est pas suffisamment ostensible pour être grossière. Néanmoins, il faut que l’image gicle : un père abattu aussi violemment que spontanément devant sa famille à l’instant où on l’attend le moins, un bûcher d’animaux morts, un cheval à l’agonie puis exécuté – Séquence éliminatoire anyway.
Lorsque le film s’aventure sur le terrain du groupe, il se perd. Dune part car ce groupe de survivants doit faire éclore des personnages, des individualités, des apparitions insoupçonnées et non des stars. Dalle, Chereau, Gourmet, Hupert, Bénichou, chacun sa scène, agrémentent ce petit programme Haneckien comme on l’attend. Chacun est alors représenté par une constante, une qualité, une seule. Pantins sans texture, pantins d’écriture. Pour camper des personnages en pleine fin du monde c’est raccord mais bon, cette manie qu’a le cadre de découper les corps à l’emphase, comme ici avec cette sépulture de bambin au premier plan et ces apparitions de flambeaux dans le fond, créant un espace d’espoir et d’angoisse mêlées, ne débouchent sur rien d’autre qu’une énième ellipse forcée.
A l’époque de ma découverte du cinéma d’Haneke, Le temps du loup avait complètement glissé sur moi, mais j’ai toujours voulu lui accorder une seconde chance, sans doute parce que j’en avais gardé quelques images fortes. Elles y sont mais sont dévorées par la maîtrise. Haneke n’est pas Béla Tarr. Il n’a pas son sens de l’espace. Sa répartie de mouvement. Il n’aura jamais été si bon que dans la représentation de l’intime, aussi cauchemardesque soit-elle – Toute sa trilogie glacée. Et puis dès qu’une séquence positive émerge un peu miraculeusement (la petite fille et la musique) elle est systématiquement compensée par une horreur dans la foulée (le viol dans la nuit). C’est un peu désespérant de voir le cinéaste suivre avec passion un schématisme misanthrope pareil.