Par son savant dosage entre l’intime et le spectaculaire, Le Tigre du ciel change la Première Guerre mondiale en opéra aérien où résonnent les coups de canons et de mitraillettes, le bruit des vaisseaux à la dérive ou en attaque piquée, les crashs enfin. Tout cela s’insère dans une musique, elle très militaire, composée par Richard Hartley qui ne tranche jamais entre la joyeuse légèreté et l’horreur tacite. Le choix d’adopter une focalisation neutre, c’est-à-dire régie par le point de vue d’un novice dont les yeux découvrent, en même temps que les nôtres, un monde jusqu’alors méconnu, facilite l’immersion du spectateur : Peter Firth a cette bonhomie qui le rend instantanément attachant, revendique à chaque instant une beauté d’éphèbe où la naïveté n’a d’égal que sa gentillesse. Il contraste aussitôt avec la beauté tourmentée de Malcolm McDowell, dont le bleu des yeux témoins semble cristalliser l’horreur du ciel où se déchirent des pays et des individus. Le réalisateur Jack Gold suit la vie dans une escadrille de la Royal Flying Corps pendant une semaine et rehausse la routine bipolaire de l’ensemble – la journée est consacrée à voler, la soirée à festoyer lourdement – par des petites cassures qui sont autant de trous d’air : l’accueil d’un prisonnier de guerre, la soirée à Troyes. C’est dans ces instants que resplendissent la complicité ainsi que la profonde humanité des frères d’armes. ; le calme avant la tempête… Injustement oublié, Le Tigre du ciel est une apothéose, l’une des meilleures œuvres sur l’aviation (engagée dans la guerre ou non) et l’un des films de guerre les plus justes et bouleversants qui soient. Car n’oublions pas la puissance visuelle d’un ensemble qui compose chacun de ses plans à la manière d’un artiste, dispose d’un véritable sens du montage et du rythme, croit en la puissance imagogène du cinéma. Le Tigre du ciel s’envole et tutoie les sommets.