Requiem pour un simulacre
Le film s’ouvre sur la mort lente d’un enfant dans un sous-terrain que traversent des adultes indifférents, instaurant la dynamique tragique de tout le récit à venir, sous forme de retour en arrière : l’échec est à la fin du voyage, et la solitude l’aura marqué jusqu’au bout.
Oscillant entre le regard brut, réaliste et quasi documentaire sur la guerre, et celui des enfants qui l’habitent, Takahata ménage un écart d’une violence profonde. Le cadre est celui d’un univers urbain sur lequel descendent les flammes des bombes incendiaires. La réponse des enfants, les flammes qui monteront vers le ciel des corps incinérés ; et, en parenthèse à cette perte de la mère, puis de la sœur, les tentatives d’une survie, par le prélèvement de petits fragments du réel : deux boites. L’une inamovible, de mémoire et de cendre, celle de la mère. L’autre vouée à l’usure, de l’enfance et de l’innocence : celle de bonbons.
Le tombeau des lucioles restitue le parcours d’une tentative d’évasion, d’une époque et du réel. Les enfants se construisent contre lui, à cause de lui, à l’abri de lui. Victimes et oubliés de l’Histoire, Seita et Setsuko n’ont a priori aucun rôle à y jouer : ils devraient, dans le bombardement originel, mourir sous les décombres. Leur survie en devient gênante, voire indécente aux yeux des adultes qui reprochent à Seita son manque de contribution à la reconstruction du pays.
Dès lors, c’est à l’écart de l’actualité que se mettra en place une tentative d’utopie, un simulacre de reconstruction : celle de l’autonomie des enfants dans le refuge. La luciole, élément poétique et éphémère, symbolise avec un éclat magique leur destinée : l’enfance irradiera un temps la nuit du pays, avant de s’éteindre en silence.
Le spectateur a beau avoir été averti du dénouement, il est pris par la main de ces personnages qui vibrent de vie, il admire, par les yeux de Setsuko, Seita qui cabriole pour lui faire oublier son chagrin. C’est la force du film d’animation que de jouer sur cette attente du spectateur : film pour enfants, a priori, film sur les enfants, qui plus est : le contraste n’en sera que plus dévastateur.
Au creux des silences, de grandes espérances : c’est l’image du père, allégorie d’un Japon en guerre, parti combattre en mer, et dont Seita attend le retour, qui fait tenir le fragile équilibre. Mais le refuge est aussi celui contre l’actualité : à l’Histoire, en pleine déroute, Seita a substitué un mythe, une figure qui, lorsqu’elle se dilue dans un ciel noir, ouvrira les abîmes de l’abandon.
Le pays se reconstruira, les efforts de guerre seront valorisés : l’Histoire reconnait ses ouvriers ; mais de ce refuge sous le ciel, de cette lumière passagère des lucioles, seul le dessin de Takahata aura su faire une œuvre de mémoire.