À travers la tempête
"Le Trésor d'Arne" est une bien étrange expérience de cinéphile. Je ne saurais dire avec précision ou certitude d'où provient ce sentiment d'étrangeté, mais le film de Mauritz Stiller distille son...
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le 28 août 2017
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"Le Trésor d'Arne" est une bien étrange expérience de cinéphile. Je ne saurais dire avec précision ou certitude d'où provient ce sentiment d'étrangeté, mais le film de Mauritz Stiller distille son charme doublé de mystère avec une rare assurance et une acuité certaine. Un faisceau assez large d'indices peut sans doute aider à y voir un peu plus clair dans cette brume glaciale nordique, et donner quelques pistes pour expliquer les raisons d'une telle impression.
En premier lieu, dans le contexte précis de mon visionnage, c'est l'accompagnement musical qui alimente fortement l'étrangeté au niveau de l'environnement sonore. Et on sait à quel point un accompagnement (contemporain à l'œuvre ou bien à sa réédition, discret ou au contraire omniprésent) peut entraver ou au contraire enflammer une appréciation de muet... Très riche, composant autant avec des bruitages qu'avec des musiques, ce nouvel habillage sonore (que j'attribue peut-être un peu vite à la récente version restaurée en question, mais c'est à confirmer) alterne entre des compositions parfaitement classiques, conformes aux traditions de l'époque, et des compositions étonnamment modernes, avec des cordes légèrement électriques qui introduisent une certaine incongruité. Ce paradoxe sonore force quelque peu la posture de visionnage et oblige à apprécier le film à l'aune de son étrangeté, qui est cependant loin de s'arrêter à cette dimension-là.
Il y a aussi le cinéma muet suédois de la fin des années 10 (1910, précision nécessaire...) qui m'était largement inconnu et qui participe à un certain sentiment de découverte. Le sujet est du même niveau, de la même richesse : la Suède au XVIe siècle et ses hivers rigoureux, son roi Jean III expulsant les mercenaires écossais en passe de se rebeller, et un trio de chefs rebelles emprisonnés dont la fuite, retardée par la rigueur des tempêtes hivernales, constitue le principal moteur de l'intrigue.
On n'identifie pas clairement de protagoniste comme dans certains Griffith contemporains (Le Lys brisé, À travers l'orage, Les Deux Orphelines), sans que ce soit pour autant un film choral ou aux récits multiples et temporalités fragmentées (comme c'est le cas du splendide "Intolérance"). Par contre, on identifie très vite un personnage féminin de premier plan, Mary Johnson, dans le rôle d'Elsalill, la nièce de Maître Arne : c'est dans sa fragilité et dans dimension tragique, rescapée d'un massacre, une étrange cousine des personnages interprétées par Lililan Gish chez Griffith. Il y a chez les deux actrices la même douceur, la même fatalité.
Une différence notable réside dans le traitement du traumatisme de la jeune fille dans "Le Trésor d'Arne", puisqu'elle traînera son chagrin et le souvenir douloureux de sa survie tout au long du film, auprès d'un marchand de poisson itinérant avant de retourner vers son passé et son agresseur de manière fortuite et surprenante. C'est un mouvement circulaire, une boucle hantée par plusieurs fantômes (plus ou moins littéraux, avec quelques belles séquences en surimpression), qui reconstituera peu à peu l'histoire de son agression. Mauritz Stiller manipule les images et les teintes avec un talent incroyable par moments, comme lorsque une vieille femme chez Maître Arne se retrouve assaillie de visions presque prémonitoires, alors qu'elle perçoit et entend (et nous avec : légers frissons) des hommes aiguiser leurs longs couteaux. La procession mortuaire finale constitue dans le même registre un climax esthétique aussi sobre que percutant, sombre, fantomatique, et bouleversant.
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le 28 août 2017
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