LE VÉNÉRABLE W. (Barbet Schroeder, SUI/FRA, 2017, 100min) :


Le Vénérable W. est un documentaire sur l’influent moine bouddhiste extrémiste Wirathu, un prêcheur de haine envers les musulmans en Birmanie. Ne vous faîtes pas prier, car vous en saurez plus également sur les poissons-chats d’Afrique !


Réalisateur prolifique et documentariste réputé, Barbet Schroeder revient avec le troisième volet de sa trilogie sur le Mal, débutée en 1974 avec un brillant portrait du dictateur ougandais dans Général Idi Amin dada, autoportrait, poursuivie ensuite par le pertinent L’Avocat de la terreur (2007), portrait de l’énigmatique avocat Jacques Vergès. Pour clore ce triptyque, l’auteur part à la rencontre de ce « vénérable » W., prédicateur islamophobe très suivi par des milliers de fidèles alors que le bouddhisme se réfère généralement à la parole du Dalaï Lama qui prône pourtant radicalement l’inverse c’est-à-dire : amour, sérénité et bienveillance envers son prochain.


Après un travelling latéral paysager introductif, la première séquence fait froid dans le dos, nous découvrons le moine interviewé par le cinéaste, déclamer de manière la plus tranquille possible son discours nauséabond vis-à-vis de la petite communauté musulmane qui représente seulement 5% de la population croyante. Le réalisateur nous offre une effarante plongée au cœur du mal avec de nombreuses interviews et des archives inédites, essayant toujours le plus justement possible de garder la vérité historique, la fonction pédagogique (rappels de statistiques) et la réalité sociale de ce pays en proie au chaos. Toujours à distance sans démontrer, le réalisateur prend le parti pris de montrer, de donner la parole à ce donneur de pogroms qui incite les bouddhistes à incendier, ravager des villages entiers faisant de très nombreuses victimes. Cette façon presque détachée de ne pas donner un point de vue de cinéaste s’avère judicieuse. Par le biais d’images très rudes parfois insoutenables, prises sur le vif, et par la pensée revendiquant ni plus ni moins une purification ethnique en s’appuyant sur des propos ubuesques et mensongers, l’auteur fait une totale confiance à l’implication et l’intelligence du spectateur face à cette manière de penser terrifiante. Ainsi l’auteur ne fait pas de morale mais met avec acuité en garde contre tous ces discours du Mal à l’apparence du Bien.


Barbet Schroeder convoque aussi d’autres moines bouddhistes de la même génération que Wirathu mais véhiculant des idées inverses puis des journalistes et militants pour les droits de l’homme apportant un contre point salutaire pour l’équilibre du film. Un documentaire qui nous interroge une fois de plus sur le genre humain et les atrocités consubstantielles qui en découlent, Wirathu comme tous les plus grands dictateurs et bouchers de l’Histoire restent avant tout des êtres humains. Croire encore en l’homme ou combattre encore avec plus de foi pour sauver l’humanité de ces faiseurs de haine ? Pour le cinéaste, accompagnée pour ce projet de sa compagne Bulle Ogier qui intervient par sa petite voix déterminée en voix-off, ce questionnement prend un sens personnelle. En effet converti au bouddhisme ce film lui permet aussi une introspection salutaire bien que pénible sur la « religion » la moins violente et à la charte morale pacifique.


Venez découvrir en marge du bouddhisme ce génocide caché, très rarement mis en lumière dans nos tubes plus cathodiques à informations, mais pointé ici avec bon sens dans Le Vénérable W.. Un saisissant témoignage, comme une sonnette d’alarme. Glaçant. Effroyable. Essentiel. Universel.

seb2046
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le 31 mars 2021

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