"Vénérable" : que l'on peut, voire que l'on doit vénérer... Le mot est fort, puisqu'il se rattache à la famille lexicale de "Vénus"... Respect, donc. W désigne Wirathou, l'un des moines bouddhistes les plus influents, en Birmanie. Lorsque l'on voit cet homme, drapé de rouge sang, fendre la foule et s'avancer, escorté par deux ombrelles blanches en forme de champignons, vers le lieu de la conférence qu'il s'apprête à donner, le mot "vénération" retrouve une densité dont on mesure combien elle est en train de s'évanouir dans notre Occident, espace moderne de toutes les désacralisations.
Au rythme lent et mesuré de la voix de Bulle Ogier, qui n'est pas sans rappeler la diction d'Agnès Varda, le commentaire souligne le profond pacifisme de la religion bouddhiste, son immense respect de l'humain - puisqu'il n'y a pas, pour elle, de Dieu autre que l'homme -, sa tolérance et son humilité, puisque ses moines vont pieds nus, ne détenant que les textes sacrés, la robe qui les drape, leur communauté de rattachement et le bol dans lequel ils recueillent les offrandes de nourriture qui les alimentent. Cette douceur voulue et pensée s'illustre dès l'ouverture du film, dans le long travelling qui recueille, au ralenti, le rituel de nourrissage des moines, en longue file indienne, par la population.
Mais, depuis "Le Mystère von Bulow" (1990) jusqu'à ce dernier opus, en passant par "L'Avocat de la terreur" (2007), consacré à la sulfureuse figure de Gérard Vergès, ou le très sensible "Amnesia" (2015), on sait Barbet Schroeder cinéaste de l'ambiguïté, voire de l'ambivalence ou même de la contradiction. Ainsi, dès les premières interviews du leader et idéologue bouddhiste, se dévoilent, sans fard, des propos hostiles à la communauté musulmane des Rohingyas. Mu par le viol, suivi de meurtre et dépeçage d'une jeune fille birmane, on voit le maître bouddhiste aller de la préconisation de lois anti-extrémistes de bon sens (interdiction des conversions forcées à l'islam, lutte contre la polygamie...) à des incitations intolérables à l'extermination ethnique. Toujours dans la subtilité, la juxtaposition éloquente, le réalisateur fait apparaître, dans le coin inférieur gauche de l'écran, des sentences bouddhistes dénonçant la haine, sur fond d'images de villages partant en flammes ou de cadavres entassés...
Une dénonciation radicale, une mise en garde impressionnante contre la folie des hommes et son extension, un masque arraché de la face des religions, qui incitent trop souvent à la violence, bien plus qu'elles n'en dissuadent...