Il y a une image qui revient régulièrement dans Le vent de la nuit c’est le passage de cette Porsche rouge sur une voie rapide, comme le fantôme d’un homme bien vivant qui laisserait tout filer, un homme qui déjà ne serait plus de ce monde. Paul (Xavier Beauvois) dira quelque chose comme ça pendant le film en s’adressant à Serge (Daniel Duval), alors qu’il ne semble pas se rendre compte à qui il s’adresse. Ce qu’il y a d’étrange avec les gens suicidaires c’est qu’ils sont là mais c’est comme s’ils n’étaient plus là, ils sont là sans être là, quelque part ils sont déjà ailleurs, c’est à peu près ce que lui dit Paul. Et c’est aussi ce que dit Philippe Garrel dans Le vent de la nuit. Il s’intéresse à trois personnages en particulier, n’ayant pas de vécu similaire mais dont les destins se rapprochent. Hélène (Catherine Deneuve) trompe son mari avec Paul, elle n’est heureuse ni chez elle ni avec cet amant véritablement, car tout est rapide, tout paraît éphémère. Et Paul est jeune, il découvre, il ne sait pas où se placer dans ce monde, il ne sait pas s’il pourrait aimer Hélène comme il se doit. Durant un voyage en Italie, lors d’une exposition, cet amant va rencontrer un homme qui lui permettra de regagner Paris. Ils feront le voyage du retour ensemble. Et dans cette fascination, cette admiration que Paul vouera à cet homme, ex soixante-huitard, quelque part héros malgré lui, Serge, l’homme en question, ne semble plus en mesure d’écouter. On apprendra un peu de ce passé révolutionnaire mais aussi de la perte de sa femme, qui s’est suicidée. Le suicide chez Garrel semble être l’unique porte de sortie valable, au sens choisie. Entre ce suicide évoqué, ce suicide manqué de Hélène et celui réussi de Serge à la fin du film, il y a comme un grand vent de fin, de mort mais aussi de maturité qui s’installe ici et là. Paul est jeune, il idolâtre, cette sensation suicidaire le dépasse, il n’a pas ce rapport intime avec la mort encore. Hélène le découvre mais s’y prend mal, comme un adolescent qui aurait découvert l’amour pour la première fois, maladroitement. Serge, au contraire, dégage cette sagesse, cette certitude dépressive qui lui donne cette apparence que Paul lui donnait plus tôt, d’un type qui serait là mais en fin de compte déjà plus là. Le film se suit comme un road-movie. D’une part grâce à ce long retour vers la capitale mais aussi avec ce nouveau voyage vers Berlin. Catherine Deneuve, pourtant seule sur l’affiche du film, ne l’occupe pas vraiment ce film, en tout cas pas physiquement. En fait, son personnage est partout. Dans les pensées de Paul, toujours incertain. Et peut-être aussi est-elle une aide dans la décision prise par Serge. Le vent de la nuit est un grand film suicidaire, peut-être même le plus grand. Il y a une telle sérénité dans cette approche de la mort c’est miraculeux. Philippe Garrel prend vie dans chacun de ses films. Qu’il raconte son histoire d’amour avec Nico et l’emprise de la drogue (J’entends plus la guitare) ou la naissance d’un enfant et son impact sur le couple (Les baisers de secours) ou la révolution qu’il a mené corps et âme (Les amants réguliers) mais un sentiment étrange plane constamment sur Le vent de la nuit. Le sentiment d’un film fait pour ne pas flancher. A la fin de Elle a passé tant d’heures sous les sunlights Garrel se tient devant une fenêtre, son suicide n’est pas loin, mais la vie s’accroche à lui, l’importance d’être mari, l’amour du père. Il ne reste plus rien dans Le vent de la nuit. Tout a disparu. Il n’y a même plus d’espoir.