Le Ventre de l'Amérique
7.5
Le Ventre de l'Amérique

Court-métrage documentaire de Luc Moullet (1996)

Luc Moullet, réalisateur et critique de cinéma, réalise Le Ventre de l'Amérique en 1996. Ce film, coproduit par Canal + et Les Films d'Ici, fut diffusé par (et peut-être réalisé pour) l'émission de télévision L'Oeil du Cyclone la même année. Luc Moullet nous invite à un voyage dans les profondeurs américaines, et précisément à Des Moines, capitale de l'état d'Iowa. Loin des conventions classiques, ce documentaire est empreint d'un ton de pertinence et de désinvolture, comme l'est par ailleurs l'oeuvre de Moullet. Il se livre ici à une critique acerbe de la ville qui regorge d'absurdités et de non-sens en tous genres. Mais le regard porté par le metteur en scène est tout en demi-teinte, il ne porte jamais de critique claire et évidente dans ses propos comme dans son filmage. La notion de subversion du film est transmise par le montage qui pourrait quasiment revendiquer le titre d'acteur principal. En effet son importance est omniprésente, et les critiques énoncées par Moullet n'existent la plupart du temps qu'à travers le montage. C'est ce que notre analyse, précédée du découpage du film, va tâcher de démontrer.

DECOUPAGE


. Plan 1 : Un globe terrestre en plastique.
« Depuis la chute du mur de Berlin, le modèle unique c'est les USA, »
. Plan 2 : Une carte des Etats-Unis, zoom sur l'état d'Iowa et sa capitale Des Moines.
« dont les états les plus typiques se trouvent au centre. »
. Plan 3 : Travelling (visiblement effectué en voiture) sur des champs déserts.
. Plan 4 : Une carte postale 'Cows and kisses from Iowa'.
. Plan 5 : Un petit pont de bois.
. Plan 6 : Un panneau de rue John Wayne Dr. à l'effigie de la Star.
« La Star nationale est née ici »
. Plan 7 : La maison natale de John Wayne.
. Plan 8 : Carillon d'un pavillon représentant la silhouette de John Wayne.
. Plan 9 : Multiples photographies et buste de John Wayne.
. Plan 10 : 'Tickets pour visite' du musée John Wayne.
. Plan 11 : Un tableau représentant John Wayne.
« C'était un militant d'extrême droite. A côté, la ville d'une militante d'extrême gauche : Jean Seberg. Une ville à deux visages. » (Ce texte s'étant des plans 11 à 14)
. Plan 12 : Un second tableau représentant John Wayne.
. Plan 13 : Une photographie de Jean Seberg.
. Plan 14 : Un plan fixe de la ville.
. Plan 15 : Un panoramique d'une rue, aucune trace de Jean Seberg.
« On chercherait vainement une trace de Jean Seberg. Rien n'indique sa maison natale. Entre ces deux villes, entre John et Jean, juste au milieu, la capitale de l'Iowa. Des Moines compte 400.000 habitants. » (Ce texte s'étant des plans 15 à 19)
. Plan 16 : La maison natale de Jean Seberg.
. Plan 17 : Un billet d'un Dollar à l'effigie de John Wayne.
. Plan 18 : la même photographie de Jean Seberg.
. Plan 19 : Sur un long panoramique, nous entrons dans la ville de Des Moines.
. Plan 20 : Long travelling en voiture. Nous traversons le centre ville de Des Moines.
« Le centre ville commence ici... ...et c'est fini! »
. Plan 21: Une vue lointaine de la ville, bordée par la campagne environnante.
« Pourquoi ces gratte-ciel alors qu'il y a plein de place alentours? Pour faire comme les grands. »
. Plan 22 : Panoramique vertical descendant sur l'escalier extérieur d'un immeuble.
« Juste à côté. »
. Plan 23 : Plan fixe d'un immeuble.
. Plan 24 : Plan fixe d'un immeuble.
. Plan 25 : Travelling 'caméra à l'épaule' dans une rue d'apparence sordide.
. Plan 26 : Plan fixe d'une rue déserte.
. Plan 27 : Plan fixe d'une grande bâtisse (la prison de la ville) et d'un camion Pepsi.
« La prison. »
. Plan 28 : Panoramique sur le stade de la ville.
« Le stade. C'est l'univers de la brique. »
. Plan 29 : Un panneau indique 'Sauvez nos forêts, bâtissez en brique'.
. Plan 30 : Panoramique sur des plaques d'immatriculation de voitures dans un parking.
« Aucun véhicule ne vient d'ailleurs. »
. Plan 31 : Un bus à l'arrêt.
. Plan 32 : Le parking d'un concessionnaire automobile, orné d'une multitude de drapeaux américains.
« Tout est fait pour l'auto. »
. Plan 33 : Une petite table en bois, très abîmée, au bord de la route.
. Plan 34 : Un parking à plusieurs niveaux.
. Plan 35 : Un panneau indique 'Autos d'occasion'.
. Plan 36 : Gros plan sur une voiture à vendre 'sans garantie', puis panoramique sur un grand nombre de voitures à vendre, visiblement aux mêmes conditions.
. Plan 37 : Un parking en surface.
« Les parkings en surface offrent l'avantage d'un raccourci. »
. Plan 38 : Panoramique sur le fleuve de la ville et le pont où passent les voitures.
. Plan 39 : Panoramique sur les quatre ponts côte à côte de la ville.
« Ici, y'a pas tellement de circulation, mais on trouve quatre ponts côte à côte. »
. Plan 40 : Plan fixe sur l'asphalte, accompagné du bruit des voitures.
. Plan 41 : On suit Luc Moullet de dos, sur le bord de la route.
. Plan 42 : Arrivée d'une voiture à une 'Drive-Bank'.
. Plan 43 : Gros plan sur la plaque 'Iowa State Bank'.
. Plan 44 : Id. plan 42, la personne retire de l'argent sans descendre de sa voiture.
. Plan 45 : Un pneumatique moderne délivre l'argent.
. Plan 46 : Id. plan 44, la personne récupère sa carte.
. Plan 47 : Id. plan 31, le même bus, au même endroit.
« Un quart d'heure plus tard le moteur tournait toujours. »
. Plan 48 : Deux drapeaux.
. Plan 49 : Les vitrines de la compagnie d'assurance 'Mutual Company'.
« La spécialité locale c'est l'assurance, en pleine expansion. » (ce texte s'étend sur le plan 50)
. Plan 50 : Travelling vertical ascendant sur un immeuble en chantier.
. Plan 51 : Un autre chantier.
. Plan 52 : Un homme, debout, une chope à la main. Nous croyons premièrement qu'il fait la quête, avant de le voir boire.
«A Des Moines, ni mendiants ni voleurs. » (Ce texte s'étend sur la plan 53)
. Plan 53 : Luc Moullet achète un journal dans un distributeur automatique.
. Plan 54 : Gros plan de l'entête du journal 'The Des Moines Register'
. Plan 55 : Id. plan 53, Luc Moullet remet une pièce et vole tous les journaux.
« Il serait facile de les emporter tous pour les revendre, mais ici tout le monde est honnête. »
. Plan 56 : Panoramique sur l'arrivée d'un bus.
. Plan 57 : Gros plan sur une pancarte 'Metro Bus Stop'.
. Plan 58 : Des personnes montent et descendent du bus.
. Plan 59 : Un aveugle marche à l'aide de sa canne.
. Plan 60 : Un homme marche difficilement.
. Plan 61 : Un autre handicapé tente de se déplacer.
. Plan 62 : Une personne en pousse une autre dans un fauteuil roulant.
. Plan 63 : Une femme très grosse.
. Plan 64 : Un homme très gros.
. Plan 65 : La caméra à l'épaule, nous montons un escalier et pénétrons dans un immeuble.
« J'ai compris alors pourquoi il y avait tant de différences entre les gens du dehors et ceux qu'on rencontre ici. Dehors il n'y a que ceux qui ne peuvent pas conduire. Les gens normaux prennent tous cette rue du premier étage, en liaison directe avec leur auto. Ces couloirs s'étendent sur cinq kilomètres à travers tout le centre ville. »
(Ce texte s'étend jusqu'au plan 67)
. Plan 66 : Grand hall où nous apercevons encore la trace d'un handicapé.
. Plan 67 : Panoramique sur un parking donnant sur un couloir de circulation.
. Plan 68 : Un autre couloir.
« Ils sont climatisés. On peut y circuler en chemise tous les jours, même l'hiver. »
(Ce texte s'étend sur le plan 69)
. Plan 69 : Un handicapé en fauteuil motorisé, à l'entrée de ces grands couloirs.
. Plan 70 : Le plan de la 'Promenade Céleste', 'Skywalk directory'.
« Un monde à part, bien organisé ».
. Plan 71 : Un panneau 'visite de la ville', présentant les publicités des magasins disponibles au sein de la 'Promenade Céleste'.
. Plan 72 : Un panneau de direction de la 'Promenade Céleste' : Palais des Congrès, Auditorium du 3è âge, Parking, Centre Catholique.
« On y trouve de tout. »
. Plan 73 : Panoramique sur quelques magasins présents dans la 'Promenade Céleste' : banque, librairie.
. Plan 74 : Un test idiot : 'Vivrez-vous vieux?'
. Plan 75 : Un autre test idiot : 'Etes-vous sexy?' Luc Moullet l'est, visiblement.
. Plan 76 : Luc Moullet se fait cirer les chaussures.
. Plan 77 : Une femme retire de l'argent à un distributeur automatique.
. Plan 78 : Panoramique sur une fresque murale d'un goût douteux. Des gens passent.
« Chaque devis immobilier doit consacrer un pourcentage à l'art. » (Ce texte débute à la fin du plan 77)
. Plan 79 : Id. plan 77. La femme obtient ses billets.
. Plan 80 : Un autre couloir de la 'Promenade Céleste'.
. Plan 81 : Panoramique sur un autre couloir. Des gens passent.
. Plan 82 : Des portes automatiques se ferment.
. Plan 83 : Un autre couloir. Panoramique sur l'extérieur vu à travers une baie vitrée.
. Plan 84 : A travers une baie vitrée de la 'Promenade Céleste', nous voyons des éboueurs travailler.
. Plan 85 : Luc Moullet s'écroule dans un couloir désert sous la chaleur du soleil.
« Lorsque les glaces redoublent la force du soleil, l'air manque. »
. Plan 86 : Deux femmes (dont une énorme) tournent dans un couloir.
« Les loyers commerciaux sont bien plus chers au premier étage qu'au rez-de- chaussée. »
. Plan 87 : Panoramique sur le centre commercial surpeuplé.
. Plan 88 : Un handicapé dans un fauteuil motorisé passe dans un couloir.
. Plan 89 : Un couloir suspendu de la 'Promenade Céleste' vu de l'extérieur.
. Plan 90 : Un autre.
. Plan 91 : Au moyen d'un travelling 'caméra à l'épaule', la caméra avance dans un couloir, tourne et tombe dans un cul-de-sac.
. Plan 92 : Panoramique sur deux nouveaux couloirs suspendus vus de l'extérieur.
« Le succès de cette 'Promenade Céleste' fait qu'on l'agrandit sans cesse. »
. Plan 93 : Vue du centre commercial surpeuplé.
. Plan 94 : La même vue . Cette fois le centre commercial est désert.
« Le week-end, personne en ville. »
. Plan 95 : Un plan de la ville déserte et d'un couloir suspendu vide également.
. Plan 96 : Un lac, visiblement dans la campagne environnante. Le lieu est désert.
« Personne à la campagne. Où sont-ils tous? Il y a bien un peu d'animation les jours de fête nationale. » (Ce texte s'étend sur le plan 97)
. Plan 97 : Une vue large du centre ville. Les immeubles sont allumés.
. Plan 98 : Long panoramique sur une place de la ville. Il y a du monde, ils semblent attendre un spectacle.
. Plan 99 : Les musiciens du dit spectacle se préparent et installent leur partition.
. Plan 100 : Un match de Hockey sur glace.
. Plan 101 : Une vue du public du match, visiblement assez enthousiaste.
. Plan 102 : Dans un escalier, des spectateurs du match ramènent, qui leur Pepsi, qui leur Pop- Corn.
. Plan 103 : Un autre plan du match de Hockey.
. Plan 104 : Un spectateur ramène quatre boissons.
« Mais où sont-ils le reste du temps? »
. Plan 105 : Panoramique sur une rue déserte qui semble comporter quelques magasins.
« Le seul quartier un peu vivant s'étend sur cent mètres, avec des boutiques au rez-de- chaussée et l'hôtel de prestige. »
. Plan 106 : Un plan fixe de l'ascenseur de l'hôtel susnommé. Ses portes s'ouvrent, il est vide.
. Plan 107 : Le lit d'une des chambres de l'hôtel. Luc Moullet vient s'y coucher en travers.
. Plan 108 : La devanture d'une discothèque, de jour.
. Plan 109 : Une autre.
. Plan 110 : Une autre.
. Plan 111 : Un panneau indique : 'Town Title Company. Business Publications Corporation'.
. Plan 112 : Une rue déserte près d'un passage à niveaux. Nous entendons le bruit d'un train.
. Plan 113 : Une terrasse de café déserte.
. Plan 114 : Panoramique débutant sur une locomotive à l'arrêt et se terminant sur un panneau 'The French Quarter'.
. Plan 115 : Un panneau publicitaire 'Red French'.
« Une sauce française jamais goûtée en France. » (Ce texte s'étend sur le plan 116)
. Plan 116 : Un main, probablement celle de Luc Moullet, verse cette sauce 'française' sur une salade. Elle a l'aspect d'un banal ketchup.
. Plan 117 : Plan large sur plusieurs rails.
« Depuis bien longtemps il n'y a plus que des trains de marchandise. »
. Plan 118 : Deux trains de marchandise se croisent.
. Plan 119 : La devanture d'un magasin dont l'entête est 'Ce qu'il vous faut'.
. Plan 120 : Un gros plan de la vitrine nous montre que ce magasin ne vend que des babioles.
. Plan 121 : La vitrine d'une plomberie-quincaillerie.
. Plan 122 : Une autre vitrine de magasin.
. Plan 123 : Une autre vitrine d'un magasin en cessation d'activité.
. Plan 124 : La vitrine d'un 'Body Piercing & Tatooing'.
. Plan 125 : Un immeuble en ruines à vendre.
. Plan 126 : Une maison en mauvais état à louer.
. Plan 127 : Un plan d'ensemble présente un bâtiment de briques et des arbustes auxquels le vent à accroché de nombreux sacs poubelle.
. Plan 128 : Un plan sur une vieille bâtisse (la première maison de la ville), puis panoramique sur le siège de l'Etat.
« C'était la première maison de la ville. Au fond, le siège de l'Etat. »
. Plan 129 : Nous apercevons le siège de l'Etat presque totalement caché par un bâtiment en préfabriqué.
. Plan 130 : Un plan de face très 'classique' du siège de l'Etat.
. Plan 131 : Le siège de l'Etat, vu dans le reflet des vitres d'un immeuble moderne. La vision proposée devient celle d'une mosaïque difforme.
. Plan 132 : Au bord de la route un panneau indique 'Governor'.
. Plan 133 : Toujours au bord de la route, un autre panneau indique 'Secretary of State'.
. Plan 134 : La cloche de la ville, qui, vu son emplacement, semble être une fierté locale.
. Plan 135 : Une statue représentant trois personnages. (avec ce plan débute une lourde musique d'orchestre, composée entre autres de cuivres et de grosse caisse.)
. Plan 136 : Une autre statue représentant un homme.
. Plan 137 : Une statue de femme se tenant la poitrine.
. Plan 138 : Une statue représentant deux mains géantes quasi jointes. Au centre, en arrière plan et parfaitement cadré, nous apercevons le drapeau américain.
. Plan 139 : Une maison.
. Plan 140 : Une vitrine d'un magasin au goût douteux en cours d'installation.
. Plan 141 : Une salle du musée de la ville de Des Moines.
« Le musée a un principe : Une toile par star. » (La musique entendue dès le plan 135, s'estompe sur la voix de Luc Moullet.)
. Plan 142 : Une toile de Picasso.
« Un Picasso, un Renoir, »
. Plan 143 : Une toile de Matisse.
« Un Matisse. »
. Plan 144 : Nous apercevons une sculpture moderne immonde représentant une femme en jean.
. Plan 145 : Une autre sculpture du même acabit. Cette fois la caméra effectue un panoramique.
. Plan 146 : D'autres toiles et sculptures d'une esthétique identique.
. Plan 147 : Un bas-relief d'une laideur extrême, intitulé 'The Butter cow', 'La Vache à Beurre', pâle copie du travail d'Archimboldo.
. Plan 148 : Un panneau indique 'Artistic'. Par un panoramique sur la gauche, nous voyons que ce nom est celui d'une entreprise de poubelles et qu'il est noté sur un camion d'éboueurs.
. Plan 149 : Quatre photographies dans la vitrine d'un magasin.
. Plan 150 : De criards et laids dessins faits à même le sol.
. Plan 151 : En extérieur, des statues représentant des musiciens.
. Plan 152 : Un plan large de l'université de Des Moines.
« Dans le quartier universitaire, une seule librairie. » (Ce texte s'étend sur le plan 153)
. Plan 153 : Un plan rapproché de l'entête de la librairie de l'université, 'University Book Store'.
. Plan 154 : Panoramique à l'intérieur de la librairie qui propose autant de T-shirts et de casquettes que de livres.
« Par contre il y a trois coiffeurs. » (Ce texte débute à la fin du plan et se termine sur le plan suivant.)
. Plan 155 : Le premier salon de coiffure.
. Plan 156 : L'enseigne du second.
. Plan 157 : Le troisième : 'Coupes super'.
. Plan 158 : Deux panneaux côte à côte : 'Ralentir, école' et 'Zone interdite à la drogue'.
« Près des écoles les peines sont plus fortes pour les dealers, qui ont donc intérêt à fréquenter la maison avant le panneau plutôt que celle de gauche. » (Ce texte s'étend sur le plan 159)
. Plan 159 : Les deux maisons en question, séparées par les panneaux vus dans le plan 158.
. Plan 160 : Un train de marchandise passe.
. Plan 161 : Dans un centre commercial, un petit train pour enfants fait office d'animation.
. Plan 162 : Passage d'une poussette et d'un vieillard sur un tricycle motorisé (nous nous demandons s'il s'agit d'un handicapé).
. Plan 163 : Le train pour enfants démarre.
. Plan 164 : Une autre animation du centre commercial propose une promenade dans la calèche du Père Noël.
. Plan 165 : Un panoramique descendant sur une énorme pyramide de peluches.
. Plan 166 : Une voiture de luxe en décoration.
. Plan 167 : Une décoration de Noël : neige et sapin lumineux.
. Plan 168 : De petites maquettes de maisons enneigées.
. Plan 169 : Deux enfants mangent des gâteaux.
. Plan 170 : Une grosse femme regarde d'un air alléché de la nourriture sur l'étal d'un mini- snack.
. Plan 171 : Nous voyons ce que regarde cette femme. Il s'agit de trois canettes : Diet 7 Up, Diet Pepsi, Diet Coke.
. Plan 172 : Dans un magasin, un enfant est entouré de jouets.
. Plan 173 : De grosses personnes déambulent dans le centre commercial.
« Très loin du centre ville, l'ensemble commercial de 'Mearl Hey' est le plus important de l'Iowa. » (Ce texte s'étend jusqu'au plan 175)
. Plan 174 : Un énorme distributeur de bonbons.
. Plan 175 : Un plan du centre commercial, des gros.
. Plan 176 : Idem.
. Plan 177 : Idem. Nous notons également la présence d'handicapés.
. Plan 178 : Une statue, en plein centre commercial.
. Plan 179 : Deux grosses femmes poussent leurs enfants dans des poussettes.
« En Amérique on a tout pour presque rien. » (Ce texte s'étend sur le plan 180)
. Plan 180 : Une pancarte 'Cinema 7, 10 francs la place de ciné'.
. Plan 181 : Une salle de jeux vidéos.
. Plan 182 : Trois hommes assis regardent des télévisions publiques individuelles.
. Plan 183 : Un immense immeuble de briques. Nous voyons une antenne parabolique.
. Plan 184 : Un enfant s'amuse seul avec des jeux d'extérieur en bois.
. Plan 185 : Long travelling effectué en voiture sur une multitude de pavillons de banlieue .
« Et voici la clef de l'énigme : Le week-end, tout le monde est chez soi, dans ces pavillons étalés sur trente kilomètres. »
. Plan 186 : Un pavillon.
. Plan 187 : Gros plan sur un téléviseur. Quelqu'un est en train de 'zapper'.
. Plan 188 : Le repas familial du dimanche. Le père amène la dinde.
. Plan 189 : Gros plan de la dinde.
. Plan 190 : Avant de passer à table, toute la famille fait sa prière.
« Je remercie Dieu pour ma nouvelle chambre, ma famille... » déclame la jeune fille.
. Plan 191 : La femme est à la cuisine.
. Plan 192 : Idem 190.
. Plan 193 : Un plan d'une église de Des Moines.
. Plan 194 : Plusieurs personnes âgées, dont une handicapée, pénètrent dans l'église.
. Plan 195 : Un panneau indique 'First Christian Church'.
. Plan 196 : Une autre église.
. Plan 197 : Une autre.
. Plan 198 : Un panneau indique les heures de messe de la 'First Lutheran Church'.
. Plan 199 : Les films à l'affiche du 'Cinema 7' qui nous propose entre autres : Mortal Kombat, Waterworld, Babe.
. Plan 200 : ' Faites confiance à Jésus' est inscrit sur un horodateur.
. Plan 201 : Une cathédrale, en plein centre de la ville.
. Plan 202 : Un plan du cimetière au bord de la route.
. Plan 203 : La tombe d'un dénommé Swift.
. Plan 204 : Deux autres tombes.
. Plan 205 : Plusieurs tombes.
. Plan 206 : Idem.
. Plan 207 : Le train du plan 160 finit de passer.
. Plan 208 : Le même panneau 'Metro Bus Stop' vu au plan 57.
. Plan 209 : La porte d'un minibus s'ouvre. Tout est automatique.
. Plan 210 : C'est un bus pour handicapés. Nous sommes à l'intérieur du bus et nous voyons une femme attacher le fauteuil d'une handicapée au moyen de harnais, afin de la faire descendre du bus.
. Plan 211 : La femme sort l'handicapée et remonte dans son minibus.
. Plan 212 : Le bus est reparti, la femme handicapée se retrouve seule sur un parking désert, face à un immense bâtiment.

FIN


ANALYSE


Le modèle unique c'est les USA.
Le film s'ouvre sur un plan présentant une mappemonde en plastique assez désuète qui tourne sur elle-même et s'arrête sur les Etats-Unis. La première intervention de montage dans le film consiste à substituer cette mappemonde pour la remplacer par un plan d'une carte des Etats-Unis, la caméra zoomant ensuite sur l'état central de l'Iowa et sa capitale Des Moines, qui sera le sujet de notre film. Le montage remplit ici une fonction classique du cinéma narratif. Situer géographiquement l'espace du film est un effet très récurrent du cinéma, et par exemple du cinéma Hollywoodien (on pensera par exemple aux films de la série Indiana Jones, qui débutent souvent par des cartes géographiques). L'ironie de Luc Moullet est déjà présente dans ces deux premiers plans, puisque le globe que l'on nous montre est en plastique, et qu'il s'apprête à nous parler d'un état 'perdu' dont on ne nous parle jamais, l'état d'Iowa.
Le plan suivant opère une totale rupture d'avec ce qui précède. Nous sommes confrontés à un travelling (effectué en voiture) de la campagne désertique environnant Des Moines, couleurs et ambiances nous rappelant plus Paris, Texas ou Zabriskie Point qu'un globe de plastique.
Le plan 4 présente ensuite une carte postale ridicule titrant 'Cows and kisses from Iowa '. En quatre plans, le montage fixe d'ores et déjà ses règles : Il opérera dans la rupture, brisant immédiatement un climat pour un instaurer un suivant, aussi bref que le précédent.
Le spectateur se demande après quatre plans seulement : Que penser de l'Iowa? Sont-ce de superbes campagnes Antonioniennes où un attrape-nigaud pour touristes débiles? Moullet apportera vite sa réponse.
Le plan 5 qui montre un minuscule pont de bois ne contient aucune importance diégétique, mis à part le fait de vouloir faire pénétrer le spectateur à l'intérieur de la ville - à l'intérieur du film.
Les huit plans suivants sont en rapport direct avec John Wayne, la star locale. « La star nationale est née ici » dira Luc Moullet. Son nom, John Wayne, ne sera pas prononcé. En revanche, Luc Moullet indique clairement que celui-ci était un militant d'extrême droite. Nous ressentons un profond mépris pour le personnage et pour l'homme Wayne (et non pas pour les rôles qu'il a pu interpréter durant sa carrière). Ce mépris sera également clairement explicité par le montage des plans le concernant :
1. Un panneau de rue John Wayne Dr Street. Ce n'est pas l'acteur ni le personnage qui sont montrés (aussi bien par Moullet que par la ville de Des Moines), mais on nous montre le simulacre, les excès de starification qui en font une momie, un nom de rue.
2. Sa maison natale. A l'entrée flotte un drapeau américain. Moullet le cadre afin de dénoncer les excès de nationalisme de l'acteur.
3. Une sonnette/girouette d'inspiration tibétaine dont le carillon n'est autre que la silhouette en fer forgé 'chapeau compris' de John Wayne. Il s'agit ici du même simulacre que pour le nom de rue mais en plus poussé. La star devient babiole, commerce pur.
4. A l'intérieur du musée John Wayne, nous voyons une multitude de tableaux le représentant, dans différents rôles. Le nombre et la proximité des photographies en ôtent toute leur aura, et il n'en résulte qu'un tas de vignettes dénuées de sens et d'intérêt, mises côte à côte.
5. L'inscription 'tickets pour visites', accentuée par la voix off de la guide nous montrent clairement que seuls subsistent le merchandising et le simulacre. L'artifice se substitue à l'art.
6 & 7. Moullet nous montre deux toiles du musée Wayne le représentant. Elles sont immondes et affreusement 'kitsch'. Le buste de John Wayne est inséré dans un cadre totalement anachronique et sans aucun sens (par exemple un port de pêche). Ces toiles peuvent faire penser aux pseudos icônes naïves et laides destinées aux touristes étrangers et que l'on peut, par exemple, trouver à Lourdes.
Le bilan dressé par Moullet, concernant John Wayne, est acerbe et virulent. Il l'est non seulement par ce qui est montré, représenté - les plans -, mais également par la manière dont ces plans sont agencés, montés. Ils sont en effet d'un nombre important (sept, pour démontrer une seule et même idée) et d'une durée très courte. Ceci crée un effet de rythme répétitif et dénué de sens; cette idée tombe donc parfaitement en accord avec ce qui est représenté: Le simulacre, l'artifice...
L'effet de montage provoqué par l'arrivée du plan suivant offre une force encore décuplée. Il s'agit de la 'militante d'extrême gauche' : Jean Seberg. Elle est présentée toute à son avantage et, contrairement à John Wayne, Moullet montre immédiatement une photo d'elle (sans doute issue d'A Bout de Souffle). Ici un seul plan, une seule photo suffisent à Moullet.
Le sens que nous dégageons du montage de cette courte séquence 'John et Jean' est double. D'une part la représentation de ces deux personnages par rapport à Des Moines: Wayne est adulé, il est omniprésent sous toute forme de gadget possible, sept plans lui sont consacrés. Seberg est totalement oubliée, nous ne voyons d'elle qu'une seule photographie. D'autre part, la représentation que nous offre Moullet: Sept plans de Wayne sans le montrer véritablement, créent un effet d'overdose et du futilité. Un seul plan de Seberg en offre une image de pureté et de grandeur, grandeur complètement ignorée par Des Moines
Moullet cherche ensuite et en vain la trace de Seberg. Le montage présent jusqu'alors et fait d'une succession de vignettes s'estompe et c'est au moyen de plans plus longs et apaisés qu'il s'introduit dans la ville. La recherche de la trace de Seberg est le prétexte à y pénétrer.
Cette opposition Wayne - Seberg se révèle alors comme l'introduction du film, car c'est « entre John et Jean » que se situe la capitale de l'Iowa et ses 400.000 habitants.
Cette séquence se clos sur une dernière opposition, confrontant un billet de un dollar à l'effigie de John Wayne et la même photographie de Jean Seberg. Au moyen du montage, et du choix des deux plans accolés, le choc produit est immense. Nous entrons dans une ville glorifiant le simulacre, qui fait de l'image d'une star une pure valeur monétaire en en oubliant l'essentiel.
Les plans 19 et 20 nous présentent enfin la ville, et c'est surtout le vingtième qui retient notre attention. Moullet décide de nous présenter le centre ville de Des Moines et le fait d'une manière très originale. Un montage classique nous aurait présenté le centre ville en multipliant les plans et les axes de caméra et le rythme du montage aurait été soutenu, voire intensif. Ici, au contraire, il n'y a pas de montage sur cette présentation puisque le centre ville nous est montré par un seul et unique travelling avant réalisé en voiture. Ce très long travelling représente simplement la traversée du centre ville 'en temps réel' et est accompagné d'une touche d'humour lorsque Moullet annonce « et c'est fini ». Si le montage disparaît sur cette présentation, c'est simplement pour nous signifier qu'il n'y a rien dans le centre ville de Des Moines, rien à voir et rien à faire. Le centre ville est tellement vide qu'il est possible de le montrer en un seul plan sans rien omettre.
Alors que nous venons à peine de pénétrer dans la ville, que nous faisons juste connaissance avec elle, Moullet nous montre l'extérieur de la ville et la campagne environnante. Cet effet de rupture provoqué par le montage montre l'enfermement volontaire des gens de Des Moines. Il y a de la place autour, mais ils s'enferment dans un cadre restreint et construisent tout en hauteur, pour 'faire comme les grands' dira Moullet. Ce plan vu de l'extérieur les isole, c'est encore une critique acerbe de Moullet qui est transmise par un effet de montage.
Les cinq plans suivants (22 à 26), immeubles uniformes et rues désertes, nous familiarisent avec l'univers peu accueillant de la capitale de l'Iowa. A tel point que nous prenons le stade (présenté au plan 28) pour la prison (montré au plan précédent). Le montage se fait sec et saccadé, nous croyons au départ qu'il est d'une neutralité totale, mais ce n'est pas le cas. Au contraire le montage de Moullet est fait de surprises, de ruptures, tout est construit dans le but de tromper le spectateur pour ensuite lui apporter un éclaircissement. Il parait bon de signaler que la voix du narrateur (et précisément celle de Luc Moullet, le metteur en scène) participe entièrement de ces effets de montage. La voix va en effet apporter les réponses aux interrogations posées par le montage. Par exemple, nous croyons que le plan 28 nous montre la prison (le mot à été prononcé au plan 27), et c'est la voix qui nous indiquera qu'il s'agit du stade.
Toutes ces confusions sur les bâtiments de la ville viennent du fait que tout est construit en briques, donc parfaitement uniforme. « C'est l'univers de la brique ». Le montage remplit ici une fonction d'éclaircissement. Le panneau du plan 29 « Sauvez nos forêts, bâtissez en brique » nous explique pourquoi tous les immeubles se ressemblent. Nous remarquons une nouvelle fois l'effet ludique du montage de Moullet que nous évoquions précédemment. Il nous laisse d'abord nous tromper et nous apporte la réponse ensuite. Un documentaire classique présentant une ville nous aurait premièrement indiqué que tout était construit en briques avant de nous le montrer.
La structure du film de Moullet s'accorde à la manière dont est composée la ville. Ainsi, si nous voyons beaucoup de voitures dans Le Ventre de l'Amérique, c'est simplement parce que les habitants de Des Moines y accordent une importance primordiale. Le montage est très habile et pernicieux puisque, 'l'air de rien', il nous emmène au centre du propos, à savoir 'La Promenade Céleste' qui relie directement les parkings aux bureaux et aux différents centres commerciaux, permettant ainsi à la population active de ne plus 'mettre le nez dehors'. Or, le montage de Moullet est fait en sorte que l'on nous présente premièrement des voitures, qui sont le moyen d'accéder aux parkings, puis des parkings, par lesquels il est possible d'accéder à 'La Promenade Céleste'.
Durant une dizaine de plans (30 à 47), Moullet va tâcher de nous montrer qu'à Des Moines, « tout est fait pour l'auto ». Le montage est quasi métronomique, et est constitué de plans courts, fixes la plupart du temps, retranscrivant ainsi la monotonie de la vie dans une ville consacrant tout à la voiture. La ville est marquée par le protectionnisme (« aucun véhicule ne vient d'ailleurs »), l'imprudence (les voitures vendues 'sans garantie') et le gaspillage (les quatre ponts côte à côte, le bus des plans 31 et 47).
Le montage des plans 42 à 46 où nous voyons une personne retirer de l'argent sans descendre de sa voiture présente un intérêt particulier. Nous sommes ici au sommet du 'tout-mécanique', comment se simplifier la vie au maximum, comment faire le moins d'efforts possible, et tout ceci frise le ridicule. Il est important de noter que, pour appuyer ce propos, le montage de Moullet épouse parfaitement cette robotisation. En cinq plans seulement (arrivée de la voiture à la banque, gros plan de la plaque de la banque, la personne retire de l'argent, le pneumatique délivre l'argent et la personne récupère sa carte), s'est installé cette atmosphère mécanique et robotique, les plans semblent réglés par un ordinateur central, chaque plan vient interrompre le précédent de manière sèche et brutale pour ensuite se faire stopper par le suivant selon le même principe. Ce mécanisme robotique, présent dans la diégèse, vient se glisser également dans le montage même du film.
L'humour peut être provoqué par un effet de montage pur et c'est ce que nous voyons entre les plans 49 et 50. Le plan 49 nous présente une compagnie d'assurance, spécialité locale qui est, selon Moullet « en pleine expansion ». Le plan 50 est un long travelling vertical ascendant sur la façade d'un immeuble en travaux. C'est le choc de ces deux plans, leur confrontation, qui va créer un effet humoristique. En effet, dès que le mot 'expansion' est prononcé, nous voyons cette caméra monter au ciel. En plus de cette figure de style, ce choc de plans nous montre que plus les compagnies d'assurances prospèrent, plus la ville va s'enrichir et pouvoir construire d'immenses buildings « pour faire comme les grands ».
Le plan 52 est d'un intérêt premier, puisqu'il nous présente une figure de montage plutôt originale. Il parait absurde de parler de montage alors que nous ne traitons ici que d'un seul plan (l'idée même du montage nécessite en effet au minimum deux plans pour qu'il puisse y avoir confrontation), mais ici, existe une sorte d'effet Koulechov, contenu en un seul et unique plan. Le plan nous montre un homme, une chope à la main. Par sa posture, chaque spectateur est persuadé que cet homme est un mendiant et qu'il fait la quête. Mais le plan ne s'arrête pas là. Nous voyons ensuite cet homme porter sa chope à la bouche et nous comprenons qu'il boit, uniquement à ce moment là. Si Moullet décide de couper le plan , le spectateur pense forcément à un mendiant. Mais le plan se poursuit, accompagné d'une phrase de Moullet : « A Des Moines, ni mendiants ni voleurs ». Il illustre cette phrase, et encore une fois de manière humoristique, en utilisant cette méthode de 'montage en un seul plan', en nous faisant croire premièrement qu'il y a des mendiants à Des Moines. C'est le même principe que l'effet fort célèbre de Lev Koulechov, où le plan premier n'acquiert un sens qu'en fonction du second, et que le sens du premier plan peut changer en fonction de celui qui suivra, sauf que les deux éléments qui permettent la réalisation de cet effet sont ici inclus en un seul plan.
Après avoir montré qu'il n'y avait pas de mendiants à Des Moines, les trois plans suivants tendent à expliquer qu'il n'y a pas de voleurs non plus, ou du moins, que le voleur possible est forcément étranger (il s'agit ici de Luc Moullet lui-même). Tout se joue sur les plans 53 et 55, qui sont en fait issus du même plan et coupés par un plan d'insert. La situation de départ où un homme achète un journal est perturbée par le plan 55, où la même situation se reproduit - jusqu'alors les faits sont strictement identiques - , mais cette fois l'homme s'empare de tous les journaux. Le montage utilise ici un effet de répétition, on réédite le plan mais en le perturbant, en y introduisant un parasite. Le fait que le rôle de ce parasite soit tenu par Moullet en dit long, une fois de plus, sur la dose de second degré présente dans le film.
L'entrée en scène des transports en commun aux plans 56 et 57 est importante puisqu'elle va nous présenter tous les gens qui n'ont pas de voiture, qui ne peuvent donc pas accéder à 'La Promenade Céleste' et qui sont par conséquent exclus de la micro société de Des Moines.
En effet, les six plans suivants ne présentent que des personnes aux handicaps divers (aveugles, handicapés, gros - le poids est malheureusement devenu un handicap important-), et qui n'ont pas accès à la promenade céleste. Le montage utilise ici un effet 'catalogue', juxtaposant ces différents types de personnages, et présente à nouveau l'effet rétroactif dont avons parlé précédemment. C'est grâce à la voix de Luc Moullet au plan 65 : « Dehors il n'y a que ceux qui ne peuvent pas conduire », que le spectateur comprend, avec un temps de retard, le sens des plans 58 à 64.
Le plan 65 se révèle fort intéressant puisque c'est par lui que nous pénétrons physiquement à l'intérieur de la 'Promenade Céleste'. Il est important de noter que ce plan 'caméra à l'épaule' est d'une durée assez longue et que cette caméra emprunte un escalier pour se rendre dans la 'Promenade Céleste', acte totalement impossible à réaliser pour les handicapés présentés dans les plans précédents. La caméra mobile de Moullet, en plus de nous faire pénétrer directement dans le coeur du film, met ici en image la barrière que les habitants de Des Moines ont dressée aux personnes handicapés. Néanmoins, leur présence se fait encore sentir, avant de disparaître totalement, aux plans 66 et 69 mais les deux handicapés que nos apercevons restent à l'entrée de ces grands couloirs, comme s'ils ne pouvaient pas y pénétrer. L'habilité du montage tient ici en la façon dont les handicapés sont petit à petit éclipsés des plans, plus nous pénétrons dans la 'Promenade Céleste'.
« Un monde à part, bien organisé » nous dit Luc Moullet. Le montage de cette séquence va suivre cette ligne de conduite et, après quelques plans de couloirs où nous sentons que la caméra aimerait aller déambuler, la rigueur de montage revient et Moullet nous présente les plans de la 'Promenade Céleste' afin que notre visite se passe de manière organisée. A visite rigoureuse, montage rigoureux, et les plans suivants consistent donc en la présentation des différentes possibilités offertes par la 'Promenade' : un plan général, une liste des nombreux magasins, un panneau de direction, une banque, une librairie, quelques jeux idiots, un cireur de chaussures, un distributeur d'argent, une fresque murale affreusement laide... Cette surenchère d'informations, et surtout cette surenchère de plans créent chez le spectateur un effet d'étouffement comme s'il était assailli de toutes parts. Moullet veut montrer la futilité et l'absurdité de la 'Promenade Céleste' et pour cela, opte pour un montage de la surinformation, comme c'est le cas dans nombreux reportages télévisés à l'heure actuelle. A force de divulguer un trop grand nombre d'informations en trop peu de temps, le spectateur ne retient rien. C'est ce schéma qu'adopte ici volontairement Luc Moullet, sans doute parce qu'il pense qu'il n'y a rien de bon à retenir de la 'Promenade Céleste', mis à par son aspect étouffant et ridicule.
Le plan 78 offrant cette ignoble fresque murale est accompagnée du texte « Chaque devis immobilier doit consacrer un pourcentage à l'art » et est étrangement encadré par deux plans identiques montrant une femme retirant de l'argent à un distributeur automatique. L'art et Des Moines, Moullet consacrera toute une partie de son film à ce problème mais ce préambule indique bien, et par un effet de montage uniquement, que l'art n'est appréhendé que comme une valeur monétaire.
La caméra de Moullet se plaît ensuite à s'égarer sur quelques plans, et la baie vitrée à travers laquelle nous voyons travailler les éboueurs fait office de préparation au magnifique gag du plan 85 où nous voyons Moullet s'écrouler dans un couloir sous la force du soleil décuplée par les baies vitrées.
A la manière d'un personnage se perdant dans ces multiples couloirs, le montage va, à ce moment du film revêtir un aspect assez 'brouillon' en présentant différentes vues éparses. Nous voyons premièrement plusieurs plans des couloirs de la 'Promenade Céleste' vue de l'extérieur (point sur lequel Moullet reviendra plus tard et qui fonctionne ici comme une mise en abîme), puis nous retournons dans un couloir, avec un plan filmé caméra à l'épaule, qui aboutit dans un cul-de-sac. Le fait que la caméra soit ici tenue à l'épaule apporte une dose d'humanisme au plan (comme si nous voyions à la place de quelqu'un) et la seule solution proposée à l'être humain au sein de la 'Promenade Céleste' semble être, selon Moullet, la voie sans issue. Moullet revient ensuite sur un plan de couloirs vus de l'extérieur et cette fois-ci précise qu'elle est sans cesse agrandie de par son succès. La 'Promenade Céleste', prenant de plus en plus de place dans la ville, en a par conséquent, pris de plus en plus dans le montage du film.
Le film va, à ce moment de la narration, changer d'objectif, laisser un peu de côté la 'Promenade Céleste' pour s'interroger sur une question cruciale : Où sont les gens de Des Moines le week-end? Cette question va servir de prétexte pour s'offrir une ballade en ville ainsi que pour offrir de nouveaux enjeux au film comme à son montage.
Le montage va procéder à une longue épuration, explorant un à un les lieux jusqu'à trouver une réponse à la question première. Le montage du film est encore une fois très habile puisque la première chose qui se vide à l'écran, c'est le centre commercial (entre les plans 93 et 94), qui représente d'après ce que l'on sait de la ville, l'unique lieu de vie des habitants de Des Moines. Les deux plans, tournés à différentes heures de la journée, sont juxtaposés de telle sorte que le spectateur sente littéralement le centre commercial se vider. Puis l'épuration effectuée par le montage des plans se déroule : Il n'y à personne à la ville, il n'y a personne à la campagne (nous sentons Moullet mourant d'envie de leur dire d'aller se faire foutre), et si nous trouvons bien quelques personnes lors de la fête nationale où des matchs de hockey, nous comprenons bien qu'il s'agit d'exceptions (le montage de la scène de hockey sur glace est d'ailleurs amusante puisque Moullet consacre autant de plans au match et à ses spectateurs qu'à leur cargaison de pop-corn et de Pepsi-Cola).
La suite du film est donc principalement faite de cette errance à la recherche des habitants de Des Moines le week-end. Outre les scènes d'humour toujours présentes (par exemple Moullet s'allongeant en travers d'un lit d'une chambre de l'hôtel de prestige désert, ou le petit pamphlet sur la sauce Red French), nous sommes conviés à visiter le seul quartier un peu vivant et son hôtel de prestige (tous deux déserts), des discothèques (elles aussi désertes mais visitées de jour), l'environnement ferroviaire de la ville à proximité duquel se situe le quartier français, ainsi qu'une quantité importante de vitrines de magasins et de bâtiments quelconques (soit désuets, soit en ruines). Cette promenade dont le but est la recherche vaine des autochtones, est montée dans un style assez commun, sans caractéristique particulière, si ce n'est que cette accumulation de lieux et la rapidité des plans font que la ville ne conserve plus que cet aspect désuet. Elle est devenue par le montage, une ville-fantôme, à l'abandon.
Moullet s'arrête sur le siège de l'Etat durant quatre plans et le cadrage de ces plans ainsi que la façon dont ils sont agencés créent une mosaïque difforme identique à celle, isolée, du plan 131 qui présente une vue du siège de l'Etat par le reflet des vitres d'un immeuble. C'est l'un des rares monuments susceptible de valoriser la ville que nous présente ici Moullet, mais son montage est tellement saccadé, hachuré, que le siège en devient difforme.
Jusqu'au plan 140, Luc Moullet poursuit sa visite en multipliant les vues de lieux et statues 'typiques' de la ville pour enfin arrêter son regard sur le musée de Des Moines dont le principe est : « une toile par star ». Lors de la courte énumération de peintres : « un Picasso, un Renoir, un Matisse », il ne nous est montré que les toiles de Picasso et de Matisse, omettant volontairement celle de Renoir. Cette omission réalisée au montage semble en fait représenter celle des conservateurs du musée de Des Moines qui, en refusant de recevoir plus d'une toile par artiste, nient par la même occasion, la totalité des oeuvres de ces peintres. Ils ne sont pas intéressés par une oeuvre, par un travail, mais uniquement par un nom. Nous retrouvons ici le même stigmate qu'au début du film, lorsque nous voyions John Wayne transformé en momie marchande, celui qui consiste à substituer l'artifice à l'art. Cette idée passe dans le film de Moullet uniquement par un effet de montage, par l'omission d'un plan.
La laideur des oeuvres modernes présentes au musée est évidente, et si Moullet se plaît à nous en montrer certaines ce n'est que pour réaliser ensuite l'effet de montage le plus violent et le plus virulent de tout le film. Après sept plans consacrés à l'intérieur du musée, le 148 présente un panneau 'Artistic'. Le spectateur ne comprend l'enjeu du montage que lorsque un panoramique gauche est effectué dans ce même plan, dévoilant alors que le nom 'Artistic' n'est autre que celui d'une entreprise d'éboueurs. Le principe même du montage est basé sur la confrontation de deux plans entre eux, sur le choc qui se produit lorsque ces deux plans se rencontrent. Cette idée (énoncée premièrement par les théories d'Eisenstein) est ici utilisée à son paroxysme et le choc produit par ces deux plans se percutant est d'une violence inouïe. En accolant simplement ces deux plans, Luc Moullet jette toutes les oeuvres 'd'art moderne' du musée de Des Moines aux ordures. En guise de conclusion à ce petit chapitre traitant de la laideur de l'art qui envahit la capitale de l'Iowa, Moullet nous montre que celle-ci dépasse les portes du musée et est présente aussi bien dans les vitrines de magasins que dans la rue. Moullet semble dire, par la juxtaposition des plans 148 à 151, que les conservateurs du musée n'ont pas le monopole du mauvais goût, et que celui-ci est accessible à tous.
En trois plans seulement, Luc Moullet va considérer l'université de Des Moines. Le montage utilisé ici est celui de l'effet loupe où l'on se rapproche progressivement du point désiré, à savoir la librairie de l'université. Le premier plan est un plan large du bâtiment, le second nous offre une vue de la façade de la librairie et le troisième cadre l'intérieur de celle-ci. Le plan 154 est particulièrement intéressant et reprend la théorie du montage interdit énoncée par André Bazin. L'intérêt de ce plan, nous montrant que la librairie de l'université vend plus de T-shirts et de casquettes que de livres, vient du panoramique. En effet, Moullet aurait pu décomposer ce constat en deux plans : un montrant les rayons proposant des livres, le second cadrant T-shirts et casquettes. « La spécificité cinématographique, saisie pour une fois à l'état pur, réside au contraire dans le simple respect photographique de l'unité de l'espace » écrit Bazin. Deux plans au lieu d'un auraient donc coupé la force du propos, puisque « l'unité de l'espace » n'aurait pas été respectée, les deux plans auraient pu être filmés dans des lieux différents et le spectateur aurait eu un doute. Au contraire ici, le doute n'est pas permis, l'unité est génératrice de véracité.
Les trois salons de coiffure rapidement présentés ensuite, montrent l'intérêt de la jeunesse estudiantine, et le montage montrant les salons de manière sèche et rapide, insiste sur la multiplicité et l'importance des coiffeurs en les mettant en rapport avec la (seule) librairie du quartier.
Les plans 158 et 159 introduisent une autre conception originale du montage, se rapprochant d'une technique cinématographique baptisée split-screen et consistant à séparer le cadre en deux parties égales en proposant deux images différentes sur le même écran. Moullet va premièrement nous présenter la borne de séparation, il s'agit de deux panneaux de signalisation : 'Ralentir, école' et 'Zone interdite à la drogue'. Le plan suivant montre cette ligne de démarcation inscrite dans le plan d'ensemble et cadrée en plein centre de l'écran. Ce poteau de signalisation semble vraiment couper l'image en deux parties comme si deux plans étaient inscrits dans la même image (et bien qu'il n'y ait pas de séparation réelle au niveau du paysage proposé). Ces deux images (ainsi que la voix off de Moullet) renforcent donc l'absurdité de ce panneau signalant que les peines encourues par les dealers seront plus fortes d'un côté que de l'autre. Toujours à la recherche des autochtones le week-end, le film va s'attarder un long instant sur le centre commercial le plus important de l'Iowa, situé en banlieue, et attirant tout de même une partie de la population locale. La liaison entre ces deux parties du film, est réalisée en montant côte à côte deux plans de train. Le premier, réel, est un train de marchandise, car comme le dit Moullet au plan 117 : « Depuis bien longtemps il n'y a plus que des trains de marchandises», sous-entendant qu'il n'y a plus aucun voyageur à Des Moines depuis des lustres. En revanche, le train pour enfants du centre commercial auquel est accolé le précédent attire les foules.
C'est donc au moyen de cette petite pirouette que nous pénétrons dans le centre commercial, à l'époque de Noël, et tel l'enfant émerveillé par tant de beauté, de lumières et d'appâts en tous genres, le montage de Luc Moullet ne sait plus où 'donner de la tête'. C'est lorsque le petit train démarre que le montage s'emballe véritablement comme si nous pénétrions dans une farandole de luxe et une débauche d'effets. Chaque plan présenté dans cette séquence démontre l'exubérance et la folie des grandeurs des américains, et par conséquent celles des habitants de Des Moines. En effet, tout est énorme. La pyramide de peluches atteint des proportions monumentales, la voiture est une énorme voiture de luxe, le distributeur de bonbons est gigantesque, même les gens sont tous gros. Les plans 170 et 171 sont à cet égard, tout à fait intéressants et présentent un cas type de l'effet Koulechov car le plan 170 ne va prendre sens qu'en fonction du suivant. Lorsque cette femme s'arrête devant l'étal du snack, nous imaginons aisément les onctueuses pâtisseries qu'elle miroite. Le spectateur se retrouve donc en état d'attente du plan suivant, et celui que nous propose Moullet montre trois canettes de boissons américaines allégées. Tout prend alors sens. La citoyenne américaine (celle que nous montre Moullet en tous cas) qui ne se nourrit que de fast-food éprouve en plus un sentiment de culpabilité vis à vis de son poids et, au lieu d'entreprendre un véritable régime, va tenter de trouver un remède en aillant recours à un quelconque placebo possédant exactement les mêmes caractéristiques que les aliments qui ont causé du tort à la personne. Bien évidemment, si le sens de ces deux plans n'existe que par le biais du montage, il faut croire en la sincérité du réalisateur pour que le schéma fonctionne. Imaginons un seul instant que Luc Moullet ait filmé le plan montrant les boissons allégées en un autre lieu et en un autre temps, et que la femme regardait véritablement des pâtisseries, alors plus rien n'aurait de sens. Il faut donc forcément croire en la bonne foi d'un metteur en scène de documentaires pour que le film puisse exister.
Après que Luc Moullet nous dise : « En Amérique on a tout pour presque rien », vont se juxtaposer cinq plans en rapport avec ce propos (ou plutôt quatre puisque le cinquième tente de rééquilibrer la balance). La place de cinéma est à dix francs, les jeux vidéos sont monnaie courante, on trouve même des télévisions publiques mais individuelles, certainement pour contenter ceux ne possédant pas la parabole présente au plan suivant. La seule personne qui semble encore pouvoir se divertir, c'est l'enfant jouant en extérieur, mais malheureusement esseulé. Le montage de ces cinq plans dont le rythme est encore une fois mécanique et silencieux, montre qu'à force de multiplier le nombre de divertissements, le citoyen américain s'est éloigné de l'essence même de l'être. Nous retrouvons alors un long travelling 'en voiture', identique à ceux qui ouvraient le film, dès que Moullet à enfin la réponse à sa question : « Le week-end, tout le monde est chez soi... ». La caméra est sortie de la ville (les pavillons sont bien évidemment en banlieue), et semble alors s'accorder le temps de filmer l'espace. Dans la ville, le montage était la plupart du temps vif et morcelé, ici au contraire, le spectateur sent que le temps va pouvoir s'installer.
Cet espoir est vite réduit à néant par un 'zappeur fou' qui semble offrir au spectateur un bref mais réel état des lieux de la télévision américaine. En nous montrant ce montage improvisé, Moullet réintroduit immédiatement une certaine violence rythmique au film, certainement révélatrice également de la cellule familiale. Cette cellule familiale américaine, Moullet va en dresser le tableau de manière expéditive, en montrant, en quelques plans seulement, les comportements stéréotypés du week-end. La télévision, le repas familial (avec la femme à la cuisine, cela va de soi) et la prière réglementaire durant laquelle la jeune enfant remercie Dieu pour sa nouvelle chambre et ensuite pour sa famille. La caméra de Luc Moullet ne semble jamais vouloir s'intégrer à cette famille, elle reste au contraire en dehors comme si elle souhaitait simplement dresser un constat. C'est pour cette raison que le montage de cette petite séquence est volontairement froid et que la dinde nous est plus montrée que ceux qui vont la dévorer. Moullet ne s'intéresse nullement à cette famille.
L'une des dernières séquences du film sera consacrée aux différentes églises de Des Moines et, encore une fois grâce au montage, Moullet fait preuve d'une virulence et d'une subversion inouïes. Entre les plans présentant les différents dogmes (et Dieu sait si il y en a aux Etats-Unis), Moullet a l'extraordinaire idée (l'une des plus subversives du film, répétons-le) d'insérer un plan du 'Cinema 7' déjà montré au plan 180 et qui affiche à cette époque des superproductions du type Mortal Kombat, Babe ou Waterworld. Ce simple effet de montage est porteur de conséquences énormes pour la compréhension de la séquence. Ce plan d'insert renvoie en effet toutes les différentes croyances comme la 'First Christian Church' ou la 'First Lutheran Church' au rang de divertissements futiles, où chacun sera libre d'afficher ses préférences religieuses sans qu'il n'y ait pour autant de différence fondamentale entre ces dogmes. L'Amérique ou l'hégémonie de la religion à la carte. Moullet ne se prive évidemment pas de filmer des handicapés se rendant dans ces lieux de prière, allant formuler un dernier voeu, peut-être celui d'avoir enfin un jour accès à la 'Promenade Céleste'.
C'est en respectant une effroyable logique que la séquence suivante se déroule au cimetière de Des Moines, envisagé comme seule solution possible après la prière. Le premier plan qui nous est montré du cimetière cadre également la route où nous voyons passer des voitures. Par ce plan, Moullet semble nous signifier que la mort, comme la 'Promenade Céleste' est « en liaison directe avec leur auto ». Les quatre plans qui succèdent à cette vue du cimetière de la route nous présentent des tombes et, parce que nous voyons le nom de certaines personnes, nous sentons que pour la première fois Luc Moullet a voulu établir une certaine proximité. Il y a quasiment plus de communication avec ces tombes qu'avec les gens que Moullet filme précédemment puisqu'on nous dévoile enfin des identités.
Le plan 207 revient sur le train qui passait sous nos yeux au plan 160 et sort enfin du cadre. Cet insert, sans logique apparente avec ce qui précède, semble nous indiquer la fin du film, mais il sera tout de même suivi d'une courte séquence de conclusion d'un pessimisme aigu.
La reprise du plan 57 indiquant 'Metro Bus Stop' sert à introduire les quatre derniers plans du film présentant un bus pour handicapés, sa conductrice ainsi qu'une unique passagère. Le premier de ces quatre plans ne met en scène aucun des deux personnages et se contente de montrer l'automatisme du minibus. Lors du second plan, nous voyons la conductrice attacher sa passagère au moyen de harnais afin de la faire descendre. Le plan est affreusement long, filmant l'opération en temps réel, sans aucune coupure. S'en dégage une extrême froideur, quasi clinique, rendant le plan insoutenable. C'est la longueur du plan, le fait que Moullet n'ait pas voulu couper qui le rend si difficile. Le spectateur est obligé de regarder jusqu'au bout et de comprendre enfin, la difficulté de vie de ce type de personnes. De plus, le fait qu'absolument aucun mot ne soit prononcé durant toute la séquence en accentue encore la difficulté. C'est avec la même atmosphère glaciale et toujours dans le silence le plus complet que la femme handicapée est extraite du bus. Chaque geste, chaque attitude semble mécanique. Ici le montage ne contribue même pas à accentuer l'aspect robotique et froid de ce qui est montré (comme cela a pu se produire précédemment). Le contenu diégétique est suffisant, Moullet n'a plus besoin de surenchérir par des effets de montage.
Abandonnée, la femme se retrouve seule sur un parking désert et le film se clos sur une note empreinte à la fois de sobriété de mise en scène et de gravité de sens.


Nombreux sont, à la télévision, les documentaires dont le sujet est la ville, une ville en particulier. Nous avons tous en mémoire les reportages du service public consacrés aux grandes capitales ou encore les documentaires plus pertinents que peuvent présenter des chaînes comme Arte. Force est de constater que le film de Luc Moullet, Le Ventre de l'Amérique est un cas isolé dans cette catégorie, et cela pour plusieurs raisons. Son contenu est évidemment séditieux et si Luc Moullet a choisi de filmer la capitale de l'Iowa ce n'est que pour en montrer les tares. Mais ce n'est jamais ouvertement que Moullet critique la ville, tout est au contraire amené discrètement, par petites touches, à la manière d'un orfèvre.
Il convient de préciser que si le film atteint ce haut degré de justesse et de pertinence, cela est dû en grande partie au montage. En effet celui-ci est un intervenant direct du film et ne se contente pas de juxtaposer les plans sans donner un sens aux chocs produits. Nous avons vu durant notre analyse comment le montage était utilisé de manière précise, comment il pouvait intervenir sur des instants donnés du film, mais celui-ci se révèle également primordial sur le film vu comme une entité, de manière globale. C'est assurément le montage qui va donner une ligne directrice au film, qui va le diriger là où le souhaite le metteur en scène. Nous nous immisçons progressivement dans la ville, progressons au sein de la 'Promenade Céleste', partons à la recherche de la population durant le week-end, retrouvons les gens cloîtrés dans leurs pavillons de banlieue, pour être enfin conduits à l'église, puis au cimetière. Ce schéma narratif existe par le montage et celui-ci nous entraîne progressivement vers la mort. La personne esseulée du dernier plan n'a certainement rien d'autre à envisager.
FrankyFockers
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le 24 avr. 2012

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