Cette ultime réalisation de Satyajit Ray est un très beau film testament d'une très grande richesse thématique sociale, psychologique et même philosophique. Certes à l'instar des branches de l'arbre , Ray encadre la majeure partie de sa narration dans un huit clos (la maison de la nièce) tant par contrainte économique que par commodité médicale (il était plus que malade durant le tournage). Mais à l'inverse de son précédent titre, cet enfermement se justifie par l'essence même du projet : confronter une famille qui n'a jamais quitté sa région (voire sa ville) à un homme qui aurait voyagé sur plusieurs continents.
Le film est donc une succession de joutes verbales où le mari, et ses amis, essaie avec rationalité de démasquer cet oncle mystérieux dont personne ne parvient à comprendre les motivations passées et présentes. Lui-même entretient d'ailleurs cette ambiguïté grâce à une intelligente et une culture inépuisables qui s'amuse à brouiller les pistes en anticipant et dépassant les questions que se posent ses interlocuteurs.
C'est passionnant à suivre avec des considérations d'une vaste profondeur où l'on sent un scénariste qui effectue lui-même un bilan sur ce qu'il a vu, vécu, côtoyé et saisi du monde ; un monde pétri de contradictions, de préjugés, de manque d'ouverture, de repli sur soi, de méfiance, d'égoïsme,.. Cet oncle, prisonnier d'une impasse idéologique, en sort de plus en plus désabusé et d'une immense tristesse d'être à ce point incompris, comme si la volonté de dépasser son petit monde était inconcevable et par définition suspicieuse... Ce qui lui donne encore plus le désir de se tourner vers les tribus et les ethnies "non civilisés" qui demeurent au final plus humaine. Dit comme ça, ça pourrait être moralisateur et naïf mais il n'en est rien grâce à l'excellente construction du récit où l'on découvre à rebours le parcours atypique de cette homme et que, de manière générale, le film ne donne jamais de leçon, du moins directement. Il s'agit plus de chercher à faire partager un état d'esprit, une manière de percevoir ce qui nous entoure et d'embrasser l'inconnu, à dépasser les conventions. L'avant-dernière séquence est l'une des plus simples, belles et chaleureuses de toute l'oeuvre de Ray quand la nièce va rejoindre une tribue indienne (la plus ancienne apparemment) dans une danse traditionnelle, abrogeant ainsi les barrières de cultures, de castes ou de couleurs de peau. Un geste lumineux, bienveillant et épanouissant.
Il est vraiment dommage donc que Ray n'ai pas fini sa carrière sur une telle scène plutôt que de conclure sur une ultime scène dispensable, prévisible et n'apportant plus grand chose à son film.
Le visiteur est en tout cas une conclusion inespérée et magnifique d'une des filmographies les plus humaines que je connaisse.