Et si les histoires les plus touchantes étaient les plus simples finalement ? Dans le Voleur de Bicyclette, Vittorio de Sica parvient à nous offrir une belle et poignante histoire humaine sans tomber dans le piège du misérabilisme facile. Dans un contexte difficile d’après-guerre, néoréalisme italien oblige, le personnage aura la chance de retrouver un emploi avant que l’on ne lui vole sa bicyclette, essentielle pour accomplir son travail. A la manière d’un Umberto D que j’avais découvert auparavant, les personnages se révèlent très vite attachants. Il s’agit pour eux de trouver les moyens de survivre dans cette crise économique, sans pleurnicher et avec une réelle dignité bien que celle-ci soit mise à rude épreuve. J’aime vraiment ces histoires d’hommes et de femmes ordinaires dépassés par les évènements mais qui trouvent toujours la force de lutter, de ne pas abandonner malgré les difficultés. C’est une représentation finalement très noble de la nature humaine.


Toutefois le ton sur celle-ci reste aussi très amer car s’il y a par moments du positif dans cette histoire, la triste réalité reprend souvent le dessus. Et parfois, quand l’humain devient solidaire de son prochain, ce n’est pas forcément dans le « bon » sens. Partie spoilante.


La solidarité que le personnage principal a pu rencontrer pendant sa quête du vélo était un élément qui redonnait du sens à la vie en communauté. Mais quand une autre solidarité se met en place contre lui face au présumé voleur, là le ton est maussade. Et le fait de voir cet homme au pied du mur perdre sa dignité en décidant de voler à son tour une bicyclette est terrible car c’est finalement la pitié qui le sauvera d’un mauvais pas. Et toutes ses valeurs s’effondrent quand il réalise qu’il est devenu ce qu’il traquait. En ça la fin est d’une infinie tristesse avec ce personnage qui avance vers son sombre destin en pleurant, en abandonnant toutes ses forces, en perdant l’estime de son fils.


Le film est globalement pessimiste mais ce qui le rend encore plus grisant, c’est cet ancrage dans cette réalité d’une Italie pauvre au contexte social rude. Même le fait de s’autoriser un petit moment de « luxe » ne peut être apprécié tant une certaine forme de peur règne finalement sur le quotidien du citoyen lambda. Aujourd’hui je peux encore manger, mais qu’en sera-t-il demain ? Il en va de même lors de cette séquence où le personnage pense avoir perdu son fils et où l’angoisse est palpable. Ils vivent tellement dans la précarité que c’est finalement le lien familial qui reste leur plus grand richesse. Et c’est traité sans aucun pathos, ce qui rend cette histoire vraiment touchante à mon sens.


J’ai vraiment pris une petite claque émotionnelle avec ce film qui propose une histoire au fond maussade mais traitée avec subtilité et intelligence. L’écriture d’ensemble est de qualité, l’empathie pour les personnages est maximale, ce qui est essentiel pour que l’émotion soit présente. On les voit évoluer avec leurs craintes, leurs petites joies, leur courage, leur désespoir… Et ce sans trajectoire unilatérale, ce qui les rend authentiques et donc attachants. Et la mise en scène épurée de De Sica met en valeur ces personnages ordinaires, sans fioritures, sans tenter de nous apitoyer sur leur sort avec des procédés balourds. Le Voleur de bicyclette est un film très humain, terriblement vrai et vraiment poignant. Et cette fin me restera longtemps en tête… Un beau film tout simplement.

Moorhuhn
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le 11 août 2015

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Moorhuhn

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