Le talent d'Hayao Miyazaki est aujourd'hui bien avéré. Figure culturelle majeure au Japon, le scénariste-phare des studios Ghibli nous éclaire, généreux, de ses étincelles d'imagination depuis maintenant plus de trente ans. Du "Château dans le ciel" à "Ponyo sur la falaise", en passant par Totoro, Mononoke et Porco Rosso, la liste est longue, l'Oeuvre est indéniable, puissante, occulte mais authentique, singulière mais universelle. Quand en 2001, il nous offre "Le Voyage de Chihiro", il fait le pari d'un ethnocentrisme décomplexé: il inonde son film de références au folklore nippon, prenant ainsi le risque de laisser tout un panel de son public à quai et d'essuyer (peut-être?) plusieurs griefs journalistiques.
Pourtant, et c'est tout à fait typique du réalisateur, ce sont précisément ces dites-références qui font la force de l'ensemble. Elles sont à la racine du profond sentiment d'innocence et d'étrangeté, omniprésent et viscéral, qui nous anime alors qu'on estime Chihiro, ses larmes, ses peurs et sa tristesse mais aussi ses sourires, sa curiosité et son courage. En effet, sans jamais céder aux canons mélodramatiques qui gangrènent le cinéma moderne, Miyazaki choisit cette fois de nous montrer les sentiments, parfois même de les allégoriser (Sans-visage est la solitude, Haku la liberté, etc...) en plus de nous en abreuver.
En cela, ce n'est pas un hasard si "Spirited Away" (la traduction anglaise lui rend mieux justice) atteint son plus vertigineux sommet poétique alors même que sa beauté picturale est la plus intense: La scène du train est une merveille superlative. Elle transcende toute l'essence artistique qui la précède en nous enlaçant, appuyée donc par une prodigieuse percée esthétique, dans le bleu turquoise d'un océan sans limite, métaphore du calme, de la détermination et de la pureté de l'héroïne. Un feu d'artifice émotionnel qui achève de nous enivrer.
C'est d'ailleurs complètement pantois qu'on s'extrait du visionnage; toujours un peu lovés dans ce flot d'aquarelle qu'on aurait préféré ne pas quitter, vaguement conscients d'avoir eu la chance d'être redevenus, le temps d'un sublime exutoire, les gamins curieux, émerveillés et amoureux qu'on a, à bien y réfléchir, toujours été. On tient là la plus grande des nombreuses prouesses de ce chef d'oeuvre en animé, qui cesse alors de n'être qu'un "autre excellent long-métrage made in Ghibli" pour rentrer, dans son raffinement, sa justesse et son harmonie, au panthéon des indispensables culturels de la décennie.