Autant le dire tout de suite, moi et la culture japonaise, ça fait 2. Les déceptions amères se sont longtemps succédées pour moi dans cette contrée cinématographique. J'en suis donc venu à la conclusion que le problème venait effectivement de ma personne. Par conséquent, mes attentes sont souvent assez limitées désormais. Malgré tout, je me devais tout de même de voir et critiquer LA référence du genre. Je l'avais déjà découverte étant enfant, mais n'en n'ayant plus aucun souvenirs, j'étais dans l'incapacité de la noter et de la juger convenablement.
D'emblée, ce long-métrage semble guidé par deux lignes directrices principales. D'un côté, la représentation de notre société contemporaine, plus particulièrement le monde du travail, par le prisme d'un monde imaginaire. De l'autre, la difficile quête iniatique et identitaire d'une enfant, pour son émancipation dans le monde adulte.
Voici venu le temps du déménagement pour Chihiro et ses parents. En route pour rejoindre leur nouvelle demeure, la famille s'embarque malencontreusement dans un long tunnel, qui les mènera dans une ville-fantôme. Découvrant alors un parc à thèmes abandonné, ses gentils parents vont s'adonner à la dégustation de mets succulents, qui ne leurs étaient pas destinés. Mal leur en a pris, ils sont alors transformés en cochon et le cauchemar commence pour Chihiro.
Epaulée par le bienveillant et énigmatique Haku, elle va errer et découvrir un Univers parallèle fantastique peuplé d'animaux, de monstres, de dieux et d'esprits. Les lieux sont dirigés d'une main de fer par la vieille et tyrannique sorcière Yubaba, incarnation du pouvoir, du patronat, peut-être même du capitalisme. Gérant le tout telle une affaire florissante, sa source principale de revenus provient d'un établissement de bains gigantesques, dans lequel viennent se laver des esprits putrides et nombre d'autres créatures bizarroïdes.
Au départ, l'héroïne symbolise l'enfance à l'état pur. Surprotégée par son cocon familial et son milieu social, c'est un être fragile et vulnérable qui va devoir apprendre à évoluer au beau milieu d'étrangers, les adultes. Quand elle penètre dans ce monde, elle se dématérialise progressivement, signe que son identité d'enfant va disparaitre pour devenir une identité d'adulte.
Pour elle, la première chose à faire est de trouver sa place dans le monde du travail. Un monde ultra-hiérarchisé qui ne laisse que peu de possibilité d'evolution et qui asservi les êtres. Elle doit faire face à la terrible Yubaba, qui modifie son nom, son identité est renié. Désormais, elle s'appelle Sen. Sen n'est qu'une Chihiro déshumanisée et uniformisée dans le monde du travail, pour remplir sa fonction. Finalement, Sen est aussi et surtout l'identité adolescente de Chihiro, une sorte de prénom de transition.
Bien entendu, le voyage de Chihiro est beaucoup plus spirituel que physique. Les mouvements sont rares, contrairement à l'évolution mentale de l'héroïne, surtout à travers ses rencontres et les obstacles qui se dressent sur sa route. Pour sauver ses parents et réintégrer le monde des vivants, la jeune fille devra faire ses preuves, prendre des responsabilités, s'assumer et donc s'émanciper véritablement.
On ne va pas se mentir, l'auteur enfonce clairement des portes ouvertes avec la critique du consumérisme, de l'avarice et de notre relation perverse avec l'argent. Mais c'est fait beaucoup plus subtilement que je ne l'aurais imaginé, donc ça passe très positivement.
Techniquement, rien à redire sur tout ce qui a été dit. L'animation est excellente, fluide et merveilleuse. Comme pour tout le monde, le déploiement original de cet attirail fantasique m'a beaucoup plu. Les péripéties plaisantes s'enchainent, le ton est équilibré. Et puis, le choix des musiques étaient simplement parfait. En résumé, un conte universelle remarquablement maitrisé.
Ce classique de l'animation japonaise est souvent considéré comme la plus belle réussite des studios Ghibli. Après ce visionnage, une chose est sûre, Miyazaki est assurément un bon cinéaste. Faut-il pour autant le qualifier de génie ? Je ne le pense pas. En tout cas, il a le mérite d'avoir créer une oeuvre empreinte d'une legereté agréable et rafraichissante, sans pour autant basculer dans une naïveté trop enfantine. Avec ce film, personne n'est laissé de côté, enfants comme adultes, spectateurs occasionnels comme cinéphiles, car il est riche, divertissant et intelligent. Un équilibre certain d'où son succès commercial et critique retentissant et amplement mérité. "Le Voyage de Chihiro" aura touché aussi bien le coeur de son public asiatique, que celui des occidentaux. Au final, chacun a pu y trouver son compte, et c'est ça le plus beau.