Critique publiée par moi même sous le pseudo Mugen le 9 mai 2008 sur le site animeFR (http://www.animefr.com/)
Le Voyage de Chihiro est un film d'animation sorti en 2001 et réalisé par Hayao Miyazaki (Nausicaa de la vallée du vent, Mon Voisin Totoro, Princesse Mononoké). Ce film a été produit par les studios Ghibli qui ont été créé en 1985 par Miyazaki et Isao Takahata (réalisateur du Tombeau des lucioles) suite au succès cinématographique de Nausicaä de la vallée du vent. Le logo de son studio est un Totoro, personnage central de Mon Voisin Totoro qui fut le premier grand succès du studio. Le scénario a été écrit aussi par Miyazaki, très connu pour sa quasi-omniprésence à toutes les étapes de création du film. La musique est composée par Joe Hisaishi qui a déjà prêté son talent sur d'autres œuvres du maître telles que Nausicaä, Le Château dans le ciel et Porco Rosso. De plus, il reçut l'Ours d'or du meilleur film au festival de Berlin en 2002 et l'Oscar du meilleur film d'animation en 2003. Au Japon, il surpassa Titanic au classement des meilleures recettes et fit connaître Miyazaki au grand public en dehors de son pays d'origine.
Ce chef-d'œuvre est d'une rare richesse parmi les films d'animation qu'il en serait difficile de l'analyser en entier, mais nous allons tenter d'aborder les principaux points...
Ce film est une quête identitaire où Chihiro se transforme à l'intérieur (caractère qui change) comme à l'extérieur (évolution du dessin) pour au final ne pas oublier son nom. Cette transformation est expliquée par Miyazaki ainsi : « Néanmoins, deux scènes sont peut-être plus symboliques que les autres. Celle où Chihiro est recroquevillée à l'arrière de la voiture, au début, et celle, à la fin, où elle apparaît seule mais grandie. Entre les deux se trouve le sens du film ».
Ce voyage pourrait ainsi se traduire par le passage de l'âge d'enfant, insouciant et protégé par le cocon familial à l'âge adulte, conscient et plus mature. C'est aussi une quête d'identité pour un pays qui ne doit pas oublier sa culture et ses croyances : « Ceux qui ont oublié leurs attaches sont condamnés à disparaître ». Miyazaki est dur car ceux qui oublient cela sont réduits en esclavage car tel est le sort de ceux qui sont ingrat selon lui. Tout comme le fait que tout le film se déroule dans les sources chaudes, un univers typiquement nippon. Cela montre encore une fois que le film est profondément ancré dans la culture japonaise. Ainsi, de nombreux thèmes vont être abordés comme la persévérance et la détermination qui mènent à la réussite. Mais aussi travailler dur mène toujours à un résultat positif et gratifiant.
Ce sont des thèmes d'actualités et très réalistes, néanmoins Miyazaki n'abandonne jamais le coté fantastique de son univers, laissant une grande place à la notion de chance et de magie. Dans cet univers les animaux, les dieux et les humains se côtoient normalement. Il s'inspire directement dans la culture nippone pour créer ses personnages comme le dragon ou l'esprit de la rivière. Les règles qui régissent notre univers n'existent pas. On y voit de tout, un train sur l'eau, une lanterne qui marche toute seule ou encore des boules de suies vivantes.
Ce film nous montre aussi bien la différence entre bien et mal mais restant toujours flou au niveau de la frontière qui les sépare. Il étudie aussi la dualité de tout être qui n'est pas toujours seulement gentil ou seulement méchant. Par exemple, le personnage Sans Visage mange des gens mais fait aussi de bonnes actions. Le film aborde avec beaucoup de délicatesse aussi un sujet très délicat chez les jeunes enfants qu'est l'amour. Le propos reste toujours à la portée d'un jeune public et présente le véritable amour et non celui perverti par la société moderne. La notion de sexe n'y est pas abordé ainsi l'on y voit plus un amour spirituel. Le fait qu'elle a oublié le nom de Haku, une divinité, fait passer aussi le message que les dieux et autres créatures divines existent en chacun de nous. C'est juste à nous de ne pas les oublier.
Une de ses épreuves n'en fait pas moins penser à Kirikou et la sorcière lorsque Chihiro enlève le pieu du corps du Dieu Putride. La ressemblance des deux êtres, qui sont innocents et petits, montre bien que Miyazaki est une source d'inspiration pour les autres réalisateurs. Une autre métaphore où l'on peut donner de nombreuses explications est la scène du train. On remarque que Chihiro est la seule à être dessinée entièrement alors que les autres personnes sont transparentes comme des ombres. Cela pourrait s'analyser par une critique de la société moderne qui ne communique pas et n'est qu'une ombre d'elle-même, sombre et noire, comme les personnages. Une autre analyse serait d'y voir la métaphore de la vie représentant son cycle par les rails et le train qui avance sans pouvoir revenir en arrière. C'est un aller simple comme dit le vieux Kamaji...
Les sources chaudes et son fonctionnement sont une métaphore représentant la société moderne et le monde du travail. Il y a une hiérarchie avec Yubaba, le chef tyrannique en haut du bâtiment. La notion d'esclavage y est abordée en enlevant les noms aux personnes et avec les boules de suies. Cela représente aussi la lutte sociale par le fait qu'un humain n'est pas accepté parmi les grenouilles et autres créatures cependant elle finit par y trouver sa place à force de persévérer. Selon Miyazaki le comportement de Yubaba envers son bébé s'explique ainsi : « C'est l'absolue bêtise des mères japonaises qui cherchent à être aimées à n'importe qu'elle prix. C'est la raison principale pour laquelle Yubaba a besoin de gagner tant d'argent : elle dépense tout pour son bébé. Elle en a fait un monstre, celui qu'il y a en elle. [...] En faisant des enfants un rouage économique, nous fonçons vers un enfer que nous avons nous-mêmes créé ». C'est une critique de la société de consommation tout comme le comportement de Sans Visage qui croit pouvoir tout acheter avec de l'or mais qui ne peut offrir la chose la plus importante aux yeux de Chihiro : l'amour.
Mais de nombreuses autres analyses sont possibles pour ce qui concerne les sources chaudes et de la plupart des scènes du film. Miyazaki explique aussi que l'univers des bains pourrait représenter les studios Ghibli : « Je considère personnellement que je suis Kamaji et que Yubaba est Monsieur Suzuki, le président de Ghibli. Le fonctionnement de la maison des bains ressemble en effet à celui du studio. Chihiro peut même être considérée comme un jeune animateur venant nous rendre visite. En arrivant, elle trouve Yubaba (Suzuki) en train de crier et de donner des ordres à tout le monde. De son côté, Kamaji (Miyazaki lui-même) est lui aussi obligé de travailler très dur sous les ordres de Yubaba. Il est débordé, au point que même ses multiples membres ne lui suffisent pas. Quant à Chihiro, elle va devoir se montrer utile si elle ne veut pas que Yubaba (Suzuki) la fasse disparaître ».
Quant aux images et à l'aspect graphique, l'ambiance générale est très vivante et avec beaucoup de couleurs vives qui donnent l'impression voir un tableau à chaque scène. Les séquences sont toujours bien rythmées avec une musique enchanteresse. On croirait voir des peintures à l'aquarelle à l'instar des dessins fait dans ses artbooks (cf exposition Miyazaki/Moebius). L'animation est fluide et agréable à regarder, avec des personnages très expressifs au niveau du visage. On pourrait encore trouver de nombreuses analyses à de nombreuses séquences du film en fouillant un peu et en le regardant de nombreuses fois. C'est ainsi que Miyazaki signe ici un chef-d'œuvre de l'animation japonaise et sûrement son œuvre la plus aboutie et la plus personnelle.
Le Voyage de Chihiro restera gravé à jamais dans l'histoire de la japanimation de part son graphisme et son propos qui a pour but de redonner espoir aux générations futures comme passées. Rappelant ainsi au monde (et à Ségolène Royale notamment) que la japanimation n'est pas seulement du sexe et de la violence mais surtout une bonne dose de poésie et de talent qui font ressentir des émotions aux spectateurs et toucher leurs cœurs.