Comment parler d’un de ses films préférés ? Qu’en dire ? Et pourquoi d’ailleurs ?
Il est courant de commencer une critique par « Il est de ces films qui/que/dont/où… »
Et le Voyage de Chihiro s’y prêterait si bien. « Il est de ces films dont la première vision est plus qu’une découverte, c’est une révélation. Ils vous transportent pour ensuite vous accompagner toute votre vie. » Mais non, allons Leslie, cette œuvre, si importante à tes yeux mérite bien mieux que ça. Essaie encore.
Je pourrais aussi comme beaucoup d’autres critiques faire référence à mes souvenirs, mes émotions passées et présentes, mon vécu. Bref, parler de moi pour mieux parler de l’œuvre.
Tentons : « Quand j’avais 10 ans, l’âge de Chihiro, je me sentais fille unique, malgré l’existence d’une grande sœur et d’un grand frère mais séparés par un écart d’âge important. J’ai eu la chance de passer mon enfance dans une maison entourée d’un jardin et d’un pré, mon royaume, source inépuisable de jeux qui ont forgé mon imaginaire, mon amour pour la nature et ma curiosité. »
Ou alors : « Il y a des heureux hasards dans la vie. Ou des bons timings. Ou le destin, allez savoir. En tout cas, lorsque votre vie est chahutée, que vous vous retrouvez en proie à toutes sortes d’émotions, même les plus dévastatrices, que vous remettez votre vie en question, que c’est bon de redécouvrir une œuvre qui remet les pendules à l’heure, qui redonne le sourire et l’espoir. » (Oui, j’aime les verbes qui commencent par « re ».)
Mouais. « Peut mieux faire » aurait dit ma prof de maths du collège (Mme Wagner, dont le nom ne rime pas avec « sorcière » et « mégère » par hasard.) Et puis, ça intéresse qui ma vie ? Mon humilité naturelle me laisse penser que vous vous en fichez pas mal (et vous n'avez pas complètement tort.)
Alors, tout d’abord, répondons à la question : pourquoi écrire une critique du Voyage de Chihiro alors qu’il en existe déjà une pléthore ? Alors que toutes les qualités, esthétiques, techniques de ce film ont été citées, toute la richesse de sa symbolique a été disséquée ? Et pourquoi maintenant ?
- Raison 1 : Je l’ai revu il y a 2 jours, mais, différence notable, sur grand écran, pour la première fois (Merci Monsieur Caméo Ariel de Metz !)
- Raison 2 : J’ai visité l’expo « Dessins du Studio Ghibli » à l’Art Ludique à Paris en janvier dernier, souvenir au goût doux-amer, mais qui a décuplé mon affection pour les œuvres de Miyazaki et ses compères.
- Raison 3 : Parce que ne pas se sentir à la hauteur d’écrire une critique, d’affronter une situation, ou tout court, c’est bon, j’ai donné (contrairement aux maths où je suis toujours coincée au niveau « newbie », je suis passée en classe intermédiaire de confiance en soi.)
- Raisons 4, 5, 6 : Parce que j’en ai envie, parce que le Voyage de Chihiro représente un joyau dans ma vie et parce que l’écriture est (re)devenue un plaisir dont je ne peux plus me passer.
Alors, désolée si ce texte vous semble redondant, ennuyeux, sans intérêt. Passez votre chemin, vous n’allez rien apprendre sur ce film que vous ne savez déjà.
Je résumerai donc les qualités techniques et visuelles du Voyage de Chihiro par un mot : splendeur. Même si on peut apercevoir ici ou là un micro coup de vieux (le film a 14 ans), on est toujours aussi conquis par sa richesse : la finesse des vases dans l’entrée de Yubaba, l’architecture de l’établissement des bains, véritable ville dans la ville, les mouvements de la mer, les créatures et personnages aux personnalités plus complexes et/ou attachantes qu’il n’y paraît – des boules de suie au vieux Kamaji, le grand-père-araignée de la chaufferie, de l’esprit de la rivière souillé puis purifié au sans-visage, à la fois candeur et monstruosité, du gros bébé, gâté-pourri-capricieux qui gagne son indépendance aux sorcières jumelles aux faciès effrayants, laids puis grotesques et bienveillants, du sublime dragon à la petite Chihiro dont les expressions d’enfant sont ici, comme dans tous les autres films de Ghibli, magnifiquement retranscrites.
C’est le parcours initiatique de Chihiro qui est le point central de l’histoire bien sûr. Elle apprend à être autonome : en travaillant (mais que fait la PJJ de Ghibli ?) à la chaufferie, puis aux bains, elle gravit les échelons comme les étages pour oser aller voir Yubaba, prend son courage à deux mains, des initiatives (pour rendre à Zeniba son sceau sacré) et confiance en elle. En route, elle n’oublie pas ses valeurs (non merci, monsieur le sans-visage, pas d’or pour moi), d’où elle vient (ses parents devenus hideux une fois transformés en cochons), ni qui elle est (son prénom).
Bien que chaque plan ait une importance dans le film et que j’en aime chaque seconde, certaines scènes me touchent plus que d’autres :
- Celle où, après avoir vu pour la première fois ses parents transformés, Chihiro mange les gâteaux de riz que Haku lui offre, et fond en larmes qu’elle n’arrive pas à contrôler. Moment de deuil, d’acceptation ?
- Le bain de l’esprit de la rivière ;
- Le dragon, pourchassé par les oiseaux en papier, se réfugiant dans la chambre de Chihiro ;
- La limace écrasée – peut-être anodin pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup ;
- Le voyage en train, bien sûr (et référence au Tombeau des Lucioles ?) ;
- Les « retrouvailles » de Chihiro et Kohaku, lorsqu’ils se remémorent leur première rencontre ;
- Chihiro qui choisit de passer le test de Yubaba puis le réussit sous les acclamations de la population ;
- Les mains de Kohaku et Chihiro qui se séparent précédé de l’échange « Tu penses qu’on va se revoir ? » « Oui, je te le promets. »
- Le dernier plan sur Chihiro, de retour dans le monde « réel », regardant vers le tunnel, songeuse, plus tout à fait enfant… et avec dans ses cheveux l’élastique tissé par Zeniba, étincelant.
La musique de Joe Hisaichi est une merveille qui complète parfaitement l’œuvre visuelle. Elle est douce, avec un soupçon de mélancolie, et me donne des frissons dès les premières notes. Enfin, si vous ne l’avez pas encore fait, prenez le temps d’écouter la chanson du générique de fin et lisez-en les paroles. C’est un moment de grâce et de poésie qui conclue divinement deux heures de magie. Mais prenez un voire deux mouchoirs quand même, hein. Parce que moi, elle m’a fait ressembler à un panda – note pour plus tard : acheter du mascara waterproof.
Que ce soit une raison de timing, de destin, de karma ou de hasard, Le Voyage de Chihiro est arrivé dans ma vie comme une sublime surprise. Qui me donne à chaque vision un peu plus envie de m’émerveiller, de remercier chaque expérience vécue et chaque personne ayant compté ou comptant encore pour moi, de faire confiance, à soi et aux autres, et d’aimer, sans porter de jugement.
Ouaip, tout ça.