Pour enchaîner 2 livres de David Vann, il est recommandé d'avoir :
- un mental assez costaud ;
- une tablette de xanax / un psy ;
- un grain de folie ;
- un amour sans borne pour cet auteur.
Ça tombe bien, j'ai tout ça.
Comme dans "Goat Mountain", le récit se situe en Californie du nord.
Comme dans "Sukkwan Island" et "Désolations", il y est question, entre autres, d'un binôme infernal et enclavé.
Comme à chaque fois, David Vann explore son propre passé familial pour nous livrer ici une nouvelle histoire sans happy end. Un hommage aux tragédies grecques selon l'auteur.
Mais ici, il revisite une autre facette de sa vie : les relations avec les femmes de sa famille. Rappelons qu'avant de devenir écrivain, D. Vann a grandi entouré d'un fantôme (son père suicidé), d'un homme (son grand-père violent) et de onze femmes. Onze. Femmes.
Autant dire qu'ici, le roman fait la part belle aux personnages féminins, ce qui est une des principales différences avec les autres livres de Vann.
Pas onze femmes. Seulement quatre. Mais ce sera déjà bien assez pour le jeune Galen, personnage principal.
Galen, 22 ans, vit chez sa mère. Il n'a pas de travail, n'est pas étudiant, n'a pas d'amis, encore moins de petite amie (il est encore vierge). Juste une passion à la limite de l'obsession pour la méditation type new-age versant vers le chamanisme. Il vomit les repas que sa tendre mère lui prépare, il passe son temps à essayer de communier douloureusement avec la nature, à lire des bouquins de méditation et à se masturber sur des magazines "Hustler".
Sa mère, Suzie-Q, qui vit dans le passé, l'idéalise et nie totalement ce qui a bien pu se passer de travers pendant son enfance (la violence de son propre père contre sa mère, par exemple.) Elle tient les cordons de la bourse familiale et s'échine à économiser le moindre sou. Son fils est son tout, restera son tout, c'est sûr.
La sœur de Suzie, la tante de Galen donc : Helen, pleine de rancœur contre sa mère qui lui a toujours préféré sa sœur, contre cette dernière à qui elle reproche son avarice et son aveuglement face à leur passé familial commun, contre feu son père dont elle a apparemment hérité de la violence physique, et contre tous les hommes bien sûr - et Galen en fera les frais par le biais de paroles assassines.
La grand-mère de Galen, demeurant dans une triste maison de retraite et qui est atteinte d'Alzheimer. Le seul personnage féminin pour qui Galen voue de la pitié et une affection sincère.
La cousine, fille d'Helen, Jennifer, 17 ans qui connaît son emprise sur Galen, l'allume, le jette, le maltraite, l'humilie, et lui laisse entrevoir la possibilité d'un dépucelage en bonne et due forme.
Enfin, au dessus de tous ces humains, flotte le spectre du grand-père qui a semé la violence, la haine, les mensonges et les non-dits dans sa tribu.
L'autre aspect notable qui différencie "Impurs" des autres livres de Vann, c'est sa sexualité, crue. Quand Galen est excité à la vue de sa cousine, il a "la trique". Souvent. Pour l'exciter, sa cousine lui montre son sexe et lui promet de lui remontrer s'il se laisse frapper... aux endroits sensibles de sa personne (messieurs, cette scène vous fera frissonner mais pas de plaisir.)
Si vous avez comme moi une famille un tant soit peu dysfonctionnelle (et je sais que vous êtes tous dans ce cas, faites pas les malins), ce sera avec un mélange d'horreur et de délectation que vous allez assister à la partie où toute la famille part dans une cabane, rite annuel incontournable. C'est là que tout va jaillir, notamment dans deux scènes mémorables : gestes, paroles, frénésie, ressentiments. Tout va partir en vrille, et aussi dans la tête de Galen.
Ce qui va amener à la seconde partie du livre, environ son dernier tiers. C'est d'ailleurs celui-ci qui m'avait conduit à ne lui mettre que 7 sur 10 dans un premier temps. Il faut dire qu'il est long ce passage. Et comme on est, non, on patauge dans l'esprit de Galen, il peut paraître plombant, comme le soleil sous lequel se déroule l'action.
Mais vous savez ce qui distingue un bon livre d'un livre inoubliable, même s'il n'est pas parfait ? C'est quand on ne cesse d'y penser, quand on a envie de le relire presque immédiatement, quand on sait qu'il y aura un avant et après. C'est ça pour moi, "Impurs".
C'est un livre sur la douleur qu'on fait inconsciemment ou volontairement aux gens qu'on aime ou qu'on devrait aimer. C'est un livre sur la douleur qu'on s'inflige pour tenter d'exister.
C'est un livre sur les ravages de la violence et des non-dits au sein d'une famille.
C'est un livre sur l'amour, mal fait ou mal exprimé.
C'est un livre à ne pas offrir à sa mère.