J'avais 10 ans, l'age de Chihiro. Je me suis plongée dans cet univers intriguant , un peu effrayant, mais si attirant, tout nouveau pour mon regard d'enfant occidentale. Je m'y suis plongée avec délice. Dix ans plus tard, je comprends beaucoup plus, mais le voyage demeure intact. Pour cette critique, regard enfantin et adulte se croisent, mais sont tous deux d'accord. S'il y a un voyage qui en vaut la peine, c'est bien celui-là.
Le voyage de Chihiro est d'abord visuel. Les décors émerveillent par leurs détails et leur exotisme (d'un point de vue occidental), les couleurs sont chatoyantes, l'animation ne souffre d'aucune critique, le chara-design est aussi beau que d'ordinaire tout en étant plus original que d'habitude, et le tout donne une impression de perfection rare. La métaphore visuelle est partout, semant un intriguant jeu de piste qui ne se révèle jamais entièrement. Ces monstres et dieux -qu'enfant je trouvais assez sympas malgré leur physique peu attirant-, la poésie surtout, telle vette image d'un train fendant les flots, participent évidemment à l'ambiance un peu glauque mais surtout formidable et unique de l'ensemble. Le voyage de Chihiro est aussi auditif. Soutenu par une partition variée, mais aux mélodies simples, la bande originale est agréable à écouter indépendamment du film. Comment être insensible à des morceaux comme "Sixth Station" et "River From that Day" ? Enfin, soulignons que le film bénéficie d'une excellente version française, ce qui a pour résultat qu'il est l'un des seuls que j'aime autant regarder en VF qu'en VO. Ce qui est très rare, surtout pour ce qui est de l'animation japonaise.
Le voyage de Chihiro est scénaristique. Son premier degré de lecture demeure très simple, non sans efficacité toutefois. Il voit en effet la petite Chihiro, gamine de 10 ans renfrognée aux rares sourires, apprendre face à l'adversité des valeurs telles que l'effort, la fidélité, l'entraide, l'amour, et finalement gagner en maturité et en joie de vivre au fil de son aventure. Cette aventure initiatique permet finalement au film de rester très accessible pour un public jeune, qui n'a nul besoin de comprendre toutes les références culturelles pour s'immerger dans cet univers -mon expérience d'enfant le prouve- contrairement à, par exemple, un "Chateau Ambulant" autrement plus alambiqué. Les adultes, eux, peuvent goûter aux divers degrés de lecture présents, de la parodie du monde du travail à l'importance des traditions, de l'écologie à la critique de l'appât du gain, et jusqu'à l'importance de pouvoir garder son individualité et la critique des classes sociales. Notre regard adulte se plaît également à admirer ces personnages attachants, mais surtout nuancés, à l'image de la sorcière Yubaba, qu'on ne peut s'empêcher d'apprécier en dépit de tout ce qu'elle fait (et de son très disgracieux bouton). Il y a en fait énormemment de choses à analyser dans ce film métaphorique. Qui peut prétendre en avoir compris toutes les images ? Cette richesse scénaristique qui ne cède jamais la place à l'incompréhension est manifestement une grande force du récit.
Le voyage de Chihiro est aussi culturel. Un simple coup d'oeil nous permet d'en apprendre beaucoup sur la culture traditionnelle japonaise, mais aussi les croyances ancestrales. Nous voyons passer toute sorte de divinités, de créatures, de symboles, qui rend cet univers si dépaysant pour un occidental, d'autant que toute l'histoire se situe déjà dans un endroit typique. Une façon d'apprendre quelques éléments d'une autre culture pratiquement sans s'en rendre compte.
Bref, le voyage de Chihiro est poétique, métaphorique, artistique. C'est un voyage complet pour lequel j'embarquerais toujours avec plaisir.