Lee Rock
6.5
Lee Rock

Film de Lawrence Ah Mon (1991)

Le premier film de Lawrence Ah Mon, Gangs (1988), fait une sortie assez discrète à Hong Kong malgré de bonnes critiques. Son second film, Queen of the Temple Street (1990) fait déjà un peu plus parler de lui et avec ses 11 millions de $HK de recettes au box-office, Lawrence Ah Mon se voit rapidement confier les rênes d’une grosse production en deux parties tirée d’un personnage ayant réellement existé, au casting trois étoiles, nous contant sur pas moins de trente ans l’évolution d’un homme au sein de la Royal Police de Hong Kong à une époque où la corruption policière faisait partie de la vie de tous les jours des citoyens de l’ex-colonie britannique. Énorme carton au box-office local à leur sortie, 30M$HK de recettes pour le premier, 23M$HK pour le second sorti à peine un mois plus tard, les deux films Lee Rock ont imposé Andy Lau comme une figure majeure du cinéma de Hong Kong en ce début des années 90. Ce diptyque très réussi arrive enfin chez nous sous la houlette de Spectrum Films, l’occasion de revoir cette fresque policière très réussie dans de très bonnes conditions (mon premier visionnage il y a plus de 20 ans avait été fait avec des VCD à la qualité douteuse).


Mais tout d’abord, un peu d’historique. Les deux films s’inspirent de la vie de Lui Lok, surnommé « L’inspecteur aux 500 millions de dollars ». Après une enfance dans la pauvreté, entre cirage de chaussures et livraison de colis, Lui Lok rentre en 1940 dans la Police de Hong Kong. Il gravit rapidement les échelons, détective, puis détective principal, et même caporal en 1951. Son premier gros fait d‘armes date de 1955. Avec son équipe, ils obtiennent des aveux sous la torture, organisent des enlèvements forcés et des exécutions, ce qui leur permet de démanteler une des plus grosses triades de Hong Kong, le Gang des 14K, alors que cette dernière organisait une fête dans une école. Cela lui permet d’être promu caporal supérieur dès 1956. En raison de son expérience avec les triades, il est placé à un poste important par l‘administration des forces de police lors des émeutes de 1956 et, en raison de son travail exceptionnel, il est de nouveau promu. D’années en années, les promotions continuent, et le 1er avril 1962, il reçoit même la médaille de la police coloniale des mains de la reine Elizabeth II. L’année suivante, le gouverneur de Hong Kong le nomme à la tête d’une commission d’experts chargée de plancher sur une réforme de la Police de Hong Kong. En 1968, alors qu’il avait été nommé l’année précédente pour s’occuper d’une affaire de corruption très grave dans la Police, il prend une retraite étonnement anticipée. En 1973, Lui Lok s’exile au Canada avec sa femme et ses huit enfants et l’année suivante l’ICAC (Independent Commission Against Corruption) est créée à Hong Kong. En 1976, alors qu’il est installé à Taiwan, un avis de recherche est lancé contre lui car il est accusé d’avoir des bien disproportionnés par rapport à ce qu’a pu lui rapporter sa carrière dans la Police. Certains de ces biens ont été gelés par l’ICAC ou récupérés par le tribunal de Hong Kong dans les années qui ont suivi. Mais il n’a pas pu être extradé en raison de l’absence d’un traité d’extradition avec Taïwan. Il a fait profil bas durant environ 30 ans dans son appartement de luxe de Taipei à Taiwan et il est décédé au Canada en 2010 des suites d’un cancer de l’estomac. Les deux films Lee Rock reprennent sa vie, tout en romançant certains points.


La première chose à savoir avant de se lancer dans les films Lee Rock, c’est que nous ne sommes pas du tout ici dans des films d’action. Nous sommes dans une longue fresque qui prend son temps, qui préfère les relations entre les personnages et développer lentement et surement son scénario plus que les scènes d’action. C’est sans doute aussi pourquoi, à l’instar des diptyques Rich and Famous / Tragic Hero et Lord of East China Sea 1 et 2, qui faisaient la même chose du côté des triades, le film semble pas mal diviser les amateurs de cinéma de Hong Kong. Car oui, Lee Rock prend son temps et va nous raconter sur 4h trente ans de la vie de ce jeune homme rentré dans la Police pour gagner de l’argent et pouvoir se nourrir, intègre dans un premier temps malgré les agissements de ses collègues corrompus, puis succombant finalement à tout cet argent facile qui s’offre à lui et créant un empire financier tentaculaire. La réalisation de Lawrence Ah Mon est quasi documentaire. Son histoire est bien structurée, sur l’amour, la vie et la corruption, avec un scénario qui fait des allers retours entre la vie amoureuse et la carrière de Lee Rock. L’ensemble est cohérent, fluide, et magnifiquement bien filmé, avec une très bonne reconstitution d’époque, aussi bien au niveau des décors / costumes que des faits historiques (le film montre par exemple les émeutes de Kowloon de 1957). Certes, il faut être patient car le film est assez lent, mais c’est parce que la narration est au final assez complexe et le réalisateur y accorde une grande importance, avec le souci du détail. Il y dresse un portrait convaincant du Hong Kong des années 50 et 60 gangrené par la corruption au point que le gang le plus important n’était pas une triade mais clairement la Police, embourbée dans cette corruption jusqu’à la moelle.


Les deux films doivent être jugés pour l’ensemble qu’ils forment et non pas séparément car il ne s’agit que d’un seul et même film qui a été coupé en deux pour les besoins des salles obscures. Mais malgré ses quatre heures au compteur, le passage du statut de personnages sympathique de Lee Rock à celui d’homme de pouvoir arrogant qui, à un moment donné, s’est senti intouchable, est beaucoup trop rapide et se déroule sans grand développement. On a l’impression que malgré cette longue durée, il y a eu pas mal de coupes à ce niveau-là dans le deuxième film (d’où sa durée un peu plus courte que le premier film ?). De plus, on est un peu moins accroché lorsque Andy Lau devient ce personnage un peu trop sûr de lui car il y est moins convaincant dans cette posture-là, à l’inverse de toute la première partie où son histoire d’amour avec le personnage de Chingmy Yau est des plus émouvantes. De manière générale, le casting est impeccable avec de nombreux visages connus du Hong Kong de cette époque : Ng Man-Tat, Kwan Hoi-San, Sharla Cheung Man, Wong Yat-Fei, James Tien, Eddy Ko, Paul Chun, Lee Siu Kei, Michael Chan ou encore Jimmy Lung. La performance du regretté Kwan Hoi-San est marquante, tout comme celle de Paul Chun en salopard de première, et tout le monde s’en sort avec les honneurs, même le tout jeune Aaron Kwok dans le deuxième film malgré une coupe de cheveux qui ne le met clairement pas en valeur. Et puis parlons rapidement des scènes d’action. Elles sont peu nombreuses mais percutantes, très violentes, essentiellement dans un style combat de rue, sans réelle chorégraphie, pour leur donner un aspect bien plus réel. On sent bien que ce n’est pas ce qui intéresse le réalisateur à une époque où elles étaient légion dans le cinéma de Hong Kong. Mais elles sont malgré tout très soignées car nécessaires au récit, amenant souvent des transitions à ce dernier.


Comment être un flic honnête dans un monde aussi tordu ? C’est un peu la question que pose le diptyque Lee Rock en adaptant la vie de ce personnage réel. Énorme succès à sa sortie, le résultat est une fresque de 4h très prenante, certes pas très originale mais néanmoins très ambitieuse. A voir !


Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-lee-rock-et-lee-rock-ii-de-lawrence-ah-mon-1991/

cherycok
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le 24 avr. 2023

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