« The dreams of youth are the regrets of maturity. » DARKNESS

Ridley Scott porte un intérêt profond pour le genre de la fantasy et des contes de fées. Ce désir de donner vie à un univers féerique remonte à bien avant sa carrière cinématographique. Dans son enfance, grandissant dans une Angleterre encore teintée de ses légendes médiévales et de ses paysages enchanteurs, Scott a développé un imaginaire peuplé de créatures mystérieuses comme les licornes, inspiré de ses balades dans la campagne anglaise avec sa famille. Loin des paysages industriels de sa ville natale, il se perdait dans des visions d’un autre monde, influencé par les récits d’une Europe ancienne, pleine de chevaliers, de forêts mystiques et de créatures magiques.

Ce rêve de jeunesse semble s'être renforcé avec l'émergence de son style de réalisateur : ses œuvres sont marquées par des décors somptueux, une direction artistique précise et une ambiance souvent mystérieuse. Dès le tournage de son premier long-métrage, The Duellists, Ridley Scott nourrit ainsi l’envie de créer un film de fantasy, convaincu que le cinéma pouvait offrir à un public moderne une porte vers cet imaginaire ancestral. À cette époque, le genre de la fantasy n’avait pas encore trouvé un large écho dans le cinéma contemporain, mais il était persuadé que les spectateurs seraient réceptifs à une telle aventure visuelle.

Au début des années 1980, Ridley Scott travaille sur son projet de film de fantasy, il plonge dans la littérature fantastique et s’inspire des contes de fées, notamment ceux des frères Grimm. Il est fasciné par ces récits sombres et symboliques qui, sous leurs airs d’histoires pour enfants, révèlent des thèmes profonds et souvent perturbants. Cependant, Scott ne souhaite pas adapter un conte spécifique ; il veut créer une histoire originale, qui ne s’appuie sur aucun mythe ou conte déjà existant.

C'est ainsi qu'il se tourne vers l’écrivain William Hjortsberg, un auteur talentueux qui a déjà rédigé plusieurs ébauches de scénarios pour des projets de fantasy et dont l'imagination correspond à l'esthétique féerique et sombre que Scott envisage. Hjortsberg, enchanté par l’idée de travailler avec un réalisateur visionnaire comme Scott, accepte immédiatement. Ensemble, ils entament un processus créatif intense pour façonner une histoire à la fois poétique, inquiétante et inédite. L’un de leurs points de référence est La Belle et la Bête de Jean Cocteau, un film qui, pour eux, incarne la magie du conte avec une esthétique gothique et une poésie visuelle unique.

Legend, sort en 1985, avec un parcours de production complexe, donnant lieu à trois versions distinctes : la version européenne, la version américaine, et le Director's Cut.

J’ai préféré voir la version européenne qui respecte davantage la vision initiale de Ridley Scott plutôt que la version américaine que Scott ne tolère pas (dans l’absolu j’aurais préféré voir la Director’s Cut, mais je voulais une version diffusée en cinéma).

Legend se distingue des films d’heroic fantasy par son approche plus proche du conte de fées traditionnel. Contrairement aux récits d’heroic fantasy, qui mettent souvent en scène des héros affrontant des batailles épiques dans des quêtes de pouvoir et de gloire, le film s’attache à un monde intime, symbolique et onirique, peuplé de créatures fantastiques. Il n'y a pas de grandes batailles ou d'aventures militaires, au lieu de cela, l’histoire se concentre sur des thèmes universels comme le bien et le mal, la pureté et la corruption, l’amour et le sacrifice.

Comme dans les contes traditionnels, l’intrigue est simple et universelle : une princesse se retrouve dans une situation où elle doit faire face aux forces du mal, symbolisées par le personnage de Darkness. Ce dernier représente le mal à l’état pur, un personnage à la fois terrifiant et charismatique, qui rappelle les sorcières et démons des contes de fées classiques. Jack est un jeune homme ordinaire, un personnage d'innocent protecteur de la nature, dont la quête n'est pas motivée par le désir de gloire ou de richesse mais par son amour pour Lili et son désir de sauver la beauté et l'harmonie de son monde.

Visuellement, le film privilégie également une esthétique onirique et poétique. Ridley Scott a choisi des décors et une cinématographie qui rappellent les peintures de la Renaissance et les illustrations de contes de fées européens. Les couleurs sont riches (saturées !), les décors regorgent de détails féériques, et la lumière joue un rôle essentiel pour accentuer l’atmosphère magique. Les scènes dans la forêt, enveloppées de brume et baignant dans une lumière dorée, donnent une impression de monde en dehors du temps, où le merveilleux et l’inquiétant cohabitent.

La musique de Jerry Goldsmith est un véritable enchantement sonore qui amplifie le caractère féerique et sombre du film. Orchestrale et lyrique, sa partition se déploie comme une fresque onirique où chaque thème renforce la nature duale de l’histoire, opposant innocence et pureté à des forces obscures. En s’inspirant du romantisme et des contes européens, Goldsmith crée un univers sonore intemporel qui évoque les paysages sauvages et mystérieux de la vieille Europe. Les thèmes délicats, presque éthérés, accompagnent les scènes de beauté naturelle, tandis que des sonorités plus graves et menaçantes accentuent la présence du mal avec Darkness, apportant à ce conte une profondeur émotionnelle et une dimension quasi mystique (je n’ai pas écouté la bande sonore de Tangerine Dream qui a travaillé sur la version américaine).

Ainsi, le film n’est pas une aventure épique mais un conte visuel et symbolique, qui fait appel à des archétypes et des métaphores pour offrir une expérience cinématographique qui rappelle les récits immémoriaux et universels des contes de fées. En créant cette œuvre unique, Ridley Scott a cherché à capturer l’essence intemporelle des contes, avec leurs leçons morales, leur magie et leur capacité à faire résonner des thèmes profonds dans le cœur des spectateurs.

Jack et Lili sont les protagonistes principaux, symboles d’innocence et de pureté en harmonie avec la nature. Jack, joué par Tom Cruise, est un jeune homme sauvage, proche des créatures féeriques et doté d’un amour sincère pour la princesse Lili, incarnée par Mia Sara, dont la curiosité et l’innocence la conduisent à libérer, involontairement, des forces obscures. À leurs côtés, un groupe de personnages féeriques apporte un souffle d’humour et de légèreté. Timbré, espiègle et farceur, semble toujours prêt à prendre des risques, tandis que Boule de Poil, un petit être hirsute et malicieux, ajoute une touche de comédie par ses réactions spontanées et imprévisibles. Enfin, Gump, le sage chef des créatures sylvestres, incarne un esprit féerique à la fois sérieux et excentrique, dont les réflexions étranges et les conseils parfois absurdes apportent un contraste drôle et décalé. Ensemble, ces personnages créent une atmosphère ludique et magique qui équilibre la gravité de la quête.

Darkness incarne l’essence même du mal, mais avec une profondeur qui le rend aussi fascinant qu'inquiétant. Plus qu’un simple méchant, il symbolise la tentation et la séduction des ténèbres, opposées à la lumière et à l'innocence représentées par les autres personnages. Son apparence physique, massive et démoniaque, trahit à la fois sa puissance brute et une certaine majesté, comme s'il appartenait à une mythologie ancienne. Darkness n’est pas juste maléfique pour le plaisir d’être cruel ; il convoite la beauté et la pureté, notamment à travers son désir pour la princesse Lili, ce qui en fait une figure complexe, presque tragique. Son charisme et sa présence dépassent la simple menace physique : il est une incarnation des peurs et des désirs refoulés, un être qui fascine autant qu'il terrifie.

La performance de Tim Curry est un élément clé pour donner vie à Darkness. Connu pour sa capacité à embrasser des rôles intenses et théâtraux, Curry apporte à Darkness une gravité et une présence qui captivent dès sa première apparition. Il joue avec une voix profonde et envoûtante, donnant au personnage une autorité indéniable, et son regard perçant ajoute à la sensation qu’il est en contrôle absolu. Curry parvient à infuser Darkness d’un charme pervers, rendant son approche de Lili à la fois séduisante et effrayante. Malgré le poids du costume imposant, il se déplace avec une grâce calculée qui accentue l’ambiguïté du personnage, à la fois majestueux et monstrueux.

Quant à Rob Bottin, son travail sur le costume et le maquillage de Darkness est une prouesse technique et artistique qui reste l’un des sommets de sa carrière. Bottin a imaginé une créature à l’allure infernale : peau rouge, des cornes immenses qui semblent sorties des contes médiévaux, une musculature sculptée qui rend Darkness intimidant à chaque angle. La fabrication du costume demandait une maîtrise et une attention aux détails impressionnantes. Bottin a su équilibrer l'horreur et l'esthétique, créant un être qui semble tout droit sorti d'une peinture gothique. Ce travail permet à Darkness de transcender le rôle de simple antagoniste et d'atteindre une dimension presque mythologique. Grâce à Bottin, Darkness n’est pas seulement un démon dans un film de fantasy, mais une icône du genre.

Legend est un film qui me fascine particulièrement, et cela tient en grande partie à la présence mémorable de Darkness et au travail remarquable de Rob Bottin. Le personnage de Darkness, avec sa complexité et son charisme, est une véritable incarnation du mal qui reste gravée dans les mémoires, et la prestation de Tim Curry lui confère une intensité inégalée. Mais c'est vraiment le travail de Bottin qui élève le film à un autre niveau, transformant le personnage en une créature mythique grâce à un costume et un maquillage à couper le souffle. Ensemble, ils font de Legend une œuvre d’art visuelle et émotionnelle, qui continue de captiver et d’émerveiller. Pour moi, c'est un classique du genre, et la magie de Darkness et la maîtrise de Rob Bottin en sont les principaux artisans.

StevenBen
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le 2 nov. 2024

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Steven Benard

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