Après La Loi de Téhéran en 2021, le réalisateur Saeed Roustaee nous propose un film qui passe au crible de nombreux codes sociaux de la culture iranienne. Patriarcat, éducation filles/garçons, subordination familiale et fascination pour l’argent sont au cœur d’une fable réaliste où la complexité des relations familiales évoque le théâtre classique, entre le drame et comédie.
Quatre frères, une sœur, un père
Leila et ses frères s’ouvre sur une séquence en montage alterné qui nous présente une partie des membres de la famille. Alireza, le cadet, travaille dans une usine de métallurgie qui s’apprête à fermer, crise économique oblige. L’armée intervient pour réprimer des ouvriers en colère. La caméra de Roustae filme au plus près des scènes d’affrontement et de course poursuite comme si on y était. Parallèlement, on fait la connaissance de Parviz, le « gros », qui, à 50 ans squatte avec ses quatre enfants – bientôt cinq – l’appartement misérable de ses parents. Et puis il y a Manoucher, le glandeur, toujours en quête de plans foireux, Farhad, au corps d’athlète mais qui n’a pas grand-chose dans la tête et Leïla, la cadette, qui essaie de motiver ses frères à sortir de leur misère. Quant à Heshmat, le patriarche opiomane, il rêve d’être parrain à la place du parrain.
Être ou ne pas être parrain
Une des qualités du film consiste à nous familiariser avec le code de l’honneur qui régit les relations familiales en Iran. Particulièrement ce rôle de « parrain », accordé au plus ancien, qui confère à celui qui l’obtient respect et soumission au sein de la famille. Un rêve qui se concrétise enfin pour le vieil Heshmat à l’occasion du mariage du fils de son cousin. Le prix à payer est certes colossal – quarante pièces d’or, les économies de toute une vie – mais qu’importe la somme pourvu qu’il ait l’ivresse. Le numéro d’acteur du père associé à la mise en scène de Saeed Roustaee font de cette scène du mariage une des séquences cinématographiques les plus stupéfiantes de cette année 2022.
Cauchemar économique
Leïla réussit à convaincre ses frères d’investir dans l’achat d’une boutique dans un centre commercial huppé, mais leurs maigres économies sont bien dérisoires au regard de la somme attendue. Surtout quand l’inflation se fait chaotique au gré des sanctions américaines et des tweets trumpiens. Cet étranglement économique semble pourtant épargner cinq créatures féminines, sorties soudain d’une voiture de luxe sous le regard éberlué des quatre frères. Certains sont moins perdants que d’autres au pays des mollahs. Si le tableau est noir, la parabole ne manque pas d’ironie, et c’est l’une des bonnes surprises du film. Leïla et ses frères prend aux tripes, mais il laisse beaucoup de place à l’humour. Une causticité qui valut au film d’être interdit de projection en Iran. Rire ou suffoquer, un dilemme qui perdure tout au long du film, à l’image d’une ultime scène dont on sort à la fois chamboulé et comblé.
8.5/10 ++
Critique à retrouver sur le MagduCiné