Le cinéma iranien, revenu à son meilleur niveau depuis quelques temps, ne cesse de décrire l’état d’un pays en état de mort cérébrale, où le mensonge et l'hypocrisie règnent en maître, où chacun cherche à sauver sa peau par des moyens pas toujours légaux ni moraux, mais Saeed Roustaeele fait différemment, occidentalisant un cinéma habituellement très aligné sur ses référents tutélaires, sans pour autant le renier ni le dévoyer.
Après avoir fait du Friedkin avec le survitaminé "La Loi de Téhéran" il file cette fois vers l'Italie pour se frotter à deux « traditions » : celle de la fresque familiale, à la Ettore Scola, qu’il trempe dans une sauce mafieuse tendance Michele Placido plus que Scorsese. Car ici le Parrain n’a pas de majuscule, il est de pacotille, à l’image d’une société où rien ne semble exister vraiment, où tout est factice, arnaque, masque pour éviter le déshonneur.
Politique intérieure ou extérieure, religion, tout a contaminé jusqu’à la sphère familiale, cercle où tout rapport semble gangrené, régi par l’argent et les aveux succédant aux coups de couteau dans le dos. On traite sa mère de tout, on gifle son « Papa chéri », personnage majeur bien qu'absent du titre, pour des pièces d’or qui peuvent ne plus rien valoir ou coûter une fortune le temps d’un tweet de Trump.
Ainsi donc est l’état des lieux nihiliste dressé par Roustaee, avec une énergie plus que débordante. Car ici ça va vite, ça tchatche non stop, trop selon moi car un film qui sait raconter tant de choses par de simples regards n’aurait pas dû se sentir obligé d’être aussi bavard.
Mais de cette caméra qui gagnera à savoir se poser jaillissent des scènes parmi les plus belles vues sur les écrans cette année : celle du mariage, qui pourrait à elle seule être un court-métrage époustouflant, ou cette fin qui serre le cœur.
"Leila et ses frères"est donc un film qui a du fond mais aussi une sacrée forme, Roustaee s'imposant déjà comme un immense filmeur, capable de créer une atmosphère par sa science du cadre, d'alterner entre mise en scène complexe et simplicité apparente.
Et enfin il y a ce casting, comme souvent renversant tant l'Iran semble regorger d'actrices et acteurs sans pareils : Taraneh Alidoosti, très connue des fidèles d'Asghar Farhadi, les quatre frères arrivés tout droit de "La Loi de Téhéran", en particulier Navid Mohammadzadeh et Payman Maadi qui ont une palette de jeu étourdissante. Sans oublier le sublime patriarche, Saeed Poursamimi, aussi inconnu chez nous que vénéré dans son pays.