Lemora : A Child's Tale of the Supernatural par toma Uberwenig
Un film trouble, sensuel, qui emmène le spectateur dans des endroits magiques, effrayants, malsains, un road-movie sous forme de fuite en avant, et un propos sulfureux.
Je n'aime pas commencer une critique par des potins un peu "geeks", mais ici, ça va m'aider à poser le décor.
Lemora est créé en 1973 mais ne sortira que 2 ans plus tard. La légende veut qu'il soit fortement amputé (80 minutes pour la version censurée contre 113 minutes pour une version uncut que personne n'a jamais vu!!) à sa sortie, et longtemps, les collectionneurs ou simplement les fans de ce films ont rêvé de ces dizaines de minutes manquantes.
Mais les mythes ont la vie dure à l'époque du digital et des sorties DVD, et la vérité tombe : seules 5 minutes manquent à la version d'origine. Les 113 minutes fantasmées correspondaient en fait à la durée indiquée sur une VHS qui comprenait le film ainsi qu'un documentaire en guise de making of.
Restent ces 5 minutes arrachées au film, ce qui n'est pas peu, et surtout le banissement de ce film par l'église Catholique, pour des raisons assez évidentes finalement. Voyez plutôt.
Ce conte pour adulte se déroulant durant la Prohibition narre l'histoire de Lila, une fille de 13 ans qui trouble tant par sa voix dans la chorale tenue par le révérend qui l'a recueilli enfant que par sa beauté angélique.
Elle reçoit des nouvelles de son père, gangster en cavale, qui a été blessé suite à un règlement de comptes. Réfugié à l'article de la mort dans la ville au nom lovecraftien d'Astaroth, il enjoint sa fille à le rejoindre. Cette dernière, confuse, décide de fuguer le soir même et prend l'unique bus qui accepte de s'aventurer dans cette ville maudite, peuplée, dit-on d'êtres difformes et habitée par le mal.
C'est sur cette base qu'une dérive des plus oniriques prend place, nous plaçant d'office à la lisière du rêve et de la réalité. La fuite en avant de Lila évoque un cauchemar sensuel étrange, et malgré les périls qu'elle croise sur le chemin, il y a toujours une ligne de fuite, une porte (métaphorique ou réelle) qui lui permet de s'enfoncer plus avant dans ce monde où règne les monstres de l'ombre, ceux-là même qui effraient les enfants, les vampires, les sorcières, tout le folklore du conte et du cauchemar se retrouve implicitement présent, gravitant autour de la belle et ténébreuse Lemora.
A l'explicite désir que cette dernière éprouve pour la belle et très jeune Lila fait écho celui du prêtre, plus implicite mais néanmoins indéniable, et c'est très certainement sur ce point que l'église s'est enflammée, jetant le ban sur ce film sulfureux et magistral.
Rarement l'épaisseur d'un rêve aura été aussi fidèlement retranscrite à l'écran, et dès le départ en bus de la belle héroine, on se retrouve embarqués, envoûtés par l'ambiance unique de ce film qui aurait mérité un autre destin qu'une confidentielle reconnaissance dans le cercle restreint des amateurs de série B.
Mais l'avantage de ces films voués d'office à une distribution en dehors du circuit mainstream, c'est que les réalisateurs peuvent aller au bout de leur vision, ne pas se limiter au consensuel, et offrir des expériences intenses et littéralement hors norme, souvent inoubliables au spectateur.
Lemora vient rejoindre sans hésitation les plus belles envolées lyriques de certains des meilleurs films fantastiques espagnols, cristallise une ambiance que peuvent lui envier la plupart des Hammer et dans une certaine mesure les épisodes maîtres de The Twilight Zone, tout en se permettant de situer l'action dans un endroit que Lovecraft n'aurait pas renié.
Définitivement un film qui marque et sans conteste un de mes grands favoris.