Je m'étonne de la faible moyenne de ce film, et que sa seule autre critique publiée sur SC soit aussi unilatéralement négative, mais à chacun ses goûts. Pour ma part, j'ai été agréablement surpris par ce Lendemain de Fête signé Asli Gözge. Sur un ton totalement différent, pour ne pas dire diamétralement opposé, il m'a fait songé à la comédie Herrliche Zeiten d'Oskar Roehler, ce qui tend à démontrer qu'il existe un certain cinéma allemand prêt à traiter avec audace de sujets sociétaux sensibles comme l'immigration et les inégalités, sans bien-pensance ni condescendance, ce qui est rafraîchissant.
Lendemain de Fête, en dépit de ce que pourrait suggérer son titre, aussi bien original que francophone (Auf einmal, ce qui signifie "tout de suite" ou "tout à coup"), est tout ce qu'il y a de plus austère : tourné dans la bourgade d'Altena en Westphalie, filmée pour l'occasion dans cette grisaille automnale typique des petites villes d'Allemagne occidentale et dont personnellement je raffole, dénué de bande-son et encore plus de toute tentative d'humour, le film s'ouvre sur une after-party silencieuse tournant rapidement au drame, puisque la dernière des convives meurt dans les bras de son hôte, Karsten Böhm, jeune cadre dynamique et fils de bonne famille locale, lequel réagit de manière pour le moins mystérieuse et confuse à cette tragédie.
Cette séquence d'ouverture est filmée par Gözge de manière à induire le plus de doute possible quant au rôle de Karsten dans la mort de la jeune femme, Anna, immigrée russe arrivée là un peu par hasard mais qui clairement ne le laissait pas indifférent, alors même que l'intéressé est en couple avec une autre. Dès lors, le spectateur est en droit de s'attendre à une trame assez classique, celle du héros cherchant désespérément à prouver son innocence, alors que plane sur lui l'ombre d'un soupçon - ou plus si affinités. Mais une fois les enjeux établis, ou du moins le croyons-nous, Lendemain de Fête va lentement mais sûrement prendre une direction inattendue, qui est à l'origine de mon étonnement quand à sa note sur le site.
On s'en doute, ce n'est pas un hasard si Asli Gözge, réalisatrice turque travaillant essentiellement en Allemagne, fait de son héros/anti-héros un jeune homme du cru, blond, bien fait de sa personne, riche et bien casé, et sa potentielle victime une immigrée issue d'un milieu beaucoup plus modeste. Pareille prémisse pourrait d'ailleurs en effrayer plus d'un tant elle semble appeler les poncifs et clichés les plus éculés, mais sans vouloir trop en révéler à son sujet, le scénario m'a étonné de par la finesse et l'absence de manichéisme avec lesquels il traite de la dynamique inter-classes, tout en parvenant à dépeindre des personnages intéressants, assez bien affranchis des stéréotypes.
Le casting est d'ailleurs également à féliciter sur ce dernier point : Sebastian Hülk n'a pas la tâche facile dans un rôle clairement écrit pour rester perpétuellement sur le fil du rasoir, à la limite entre sympathie et antipathie, mais il s'en tire avec ce qu'il faut d'ingénuité et de stoïcisme dans son jeu pour que l'on ne sache plus à quel saint se vouer. Les rôles secondaires s'en sortent également très bien, notamment Julian Jentsch (co-star du coming-of-age-movie allemand le plus célèbre des années 2000, Die fetten Jahre sind vorbei), le vétéran Hanns Zischler (un des agents du Munich de Spielberg) ou encore Luise Heyer, dont la présence ne manquera pas d'amuser les fans de la série à succès Dark, puisqu'elle y campait la femme de Hülk. Kleine Welt!
Lendemain de Fête est austère, très austère, et je comprends que cela ne soit pas pour tout le monde. Asli Gözge a parfois la main un peu lourde, et maladroite, notamment lors de cette séquence de randonnée culminant, au propre comme au figuré, avec une contre-plongée sur le personnage principal encerclé par un drapeau allemand et une croix luthérienne géante, mais son approche de la mentalité des petites villes de province et de la société allemande conservatrice m'a paru autrement plus pertinente et subtile - et moins prétentieuse sur la forme - que Le Ruban Blanc de Michael Haneke, primé à Cannes. Je vais sûrement me faire beaucoup d'ennemis en disant cela, mais il est vraiment agréable de voir pareille thématique traitée sans fainéantise ni simplifications, d'une manière qui fasse réfléchir le spectateur.