J'ai été très marquée par ce film, moi qui déteste la forme biopic, que je trouve toujours ratée, unilatérale, mythologisante, - je dois dire que ce documentaire est particulièrement réussi : on y voit une figure complexe, c'est-à-dire réelle, équivoque, impossible à réduire, le documentaire parvient à nous la montrer au-delà des personnifications qu'elle ne cesse de combattre "je ne suis pas responsable des horreurs de la guerre, je ne savais rien, je ne suis qu'une artiste, la politique ne m'intéresse pas, je ne suis pas une néo-nazie", etc. On ne sait plus bien, très vite, on ne peut plus trancher, on s'identifie très vite à une personne dont le destin la rend d'emblée coupable ... et la part du personnel et du destin collectif n'est plus si nette.
Qui est-elle vraiment ? Qu'est-ce qui l'habite ? Déni ? culpabilité ? post-rationalisation ? nazie sous couverture - j'en doute, pourquoi aurait-elle gardé toutes ces archives qui la compromettent vaguement ? artiste carrièriste et cynique ça c'est sûr, et raciste comme à peu près tout le monde à l'époque mais pas spécialement antisémite, quand on sait combien l'antisémitisme était une chose qu'on pouvait affirmer publiquement dans l'Allemagne d'avant-guerre, et que c'était bien vu, que ça pouvait vous faire accéder à des places... Dépolitisée mais admirative, elle-même très dure de caractère, réalisatrice tyrannique, intransigeante avec ses collaborateurs. On pouvait croire à la distinction entre l'art et la politique... mais alors pourquoi faire des films de propagande, et des films dédicacés à Hitler ? Peut-être me suis-je laissée prendre au piège de Leni Riefenstahl.
Sans nullement l'absoudre (ni moi ni le film), je sors du film avec le plaisir d'avoir un exemple fort de la nécessité d'être responsable face à l'histoire. Leni Riefenstahl, coupable ou non, aurait dû sentir sa responsabilité, la reconnaître, aurait dû tirer les conclusions de ce dans quoi l'Histoire l'impliquait et ne pas fuir dans un idéal d'artiste, un cynisme de carrière. Au lieu de quoi elle se voit comme victime de l'Histoire et innocente. Voilà qui la rend banalement inhumaine.
Peut-être un peu long, mais il reste à mon avis intense, bien rythmé et maîtrise bien son propos. On a vraiment un goût de l'Histoire, vivre dans un siècle, la multiplicité de la personne, au-delà de la personne la traversée de cette vie-là.