Rétrospective colossale de la carrière de Leni Riefenstahl, à l'aube de sa condition de nonagénaire en 1993 (elle mourra dix ans plus tard en 2003, à l'âge de 101 ans), guidée par Ray Müller un peu comme il a pu, entre deux engueulades sur la technique cinématographique. Un peu plus de trois heures pour parcourir les multiples vies d'une des plus célèbres réalisatrices allemandes qui a traversé le XXe siècle, d'abord comme danseuse, puis comme comédienne, avant de devenir la cinéaste officielle du Troisième Reich au travers de films de propagande nazie comme Le Triomphe de la volonté. Les difficiles années et décennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, aussi. Le Pouvoir des images aborde l'ensemble de ces thématiques au moyen d'un entretien au long cours, avec une distance aussi grande que salutaire sur le passif de la principale concernée, permettant de poser un regard neutre sur l'ensemble de sa carrière sans s'interdire les questions qui fâchent.
Il y a beaucoup de films dans le film. La première composante qui est véhiculée, c'est celle de Riefenstahl sous l'eau, la plongeuse la plus âgée de l'époque au moment du tournage du documentaire, en train de filmer les fonds marins — des images qui seront probablement au cœur de son dernier travail Impressions sous-marines (2002). Il y a ensuite tout ce qui a trait à la période allemande pré-nazie, liée à ses collaborations avec Arnold Fanck et Georg Wilhelm Pabst (La Montagne sacrée en 1926, L'Enfer blanc du Piz Palü en 1929) tandis qu'elle se découvrait une passion pour l'escalade et l'alpinisme — activités alors réservées aux hommes — en crapahutant pieds nus dans les sommets des Alpes. Ses inimitiés avec Marlene Dietrich, sa première réalisation (La Lumière bleue, 1932) avant la consécration pour Les Dieux du stade en 1938, comportant de nombreuses considérations techniques en matière de mise en scène et de montage. Puis l'épisode du nazisme, elle qui s'est toujours justifiée a posteriori en arguant de son extériorité au parti national-socialiste et de son hostilité pour Goebbels — un des points chauds du docu, avec des questions très directes pointant avec ouverture et fermeté les contradictions dans son discours, et en ce sens vraiment passionnant. Et enfin la seconde moitié du XXe siècle, particulièrement bien fournie sur le plan artistique, avec notamment ses travaux photographiques et ethnographiques auprès des tribus Nouba au Soudan qui rappellent son attrait pour les corps masculins musculeux.
Trois heures bienvenues, qui laissent amplement la place pour qu'une présentation honnête de la vie de Riefenstahl puisse advenir et qu'on puisse se faire un jugement vis-à-vis de ses déclarations. Une femme aux nombreux visages, qui affirme avoir totalement ignoré l'existence des camps jusqu'à la fin de la guerre, qui s'adonne tranquillement à la plongée sous-marine pour ses 91 ans, et qui n'hésite pas à rabrouer les auteurs et techniciens du documentaire en leur expliquant que leur travelling arrière censé capter ses paroles en marchant est un contresens esthétique. On n'aurait pas vraiment imaginé qu'un tel film laisse autant de place à l'humour, et pourtant c'est très réussi.
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