Lenny constitue certainement l’un des meilleurs biopics réalisés, tant il parvient à convertir l’approche documentaire exigée par son postulat en une démarche esthétique virevoltante qui procède par échos, sauts dans les âges et les lieux, ellipses nombreuses afin d’incarner par le mouvement à la fois le rythme effréné du show et la vitesse incontrôlable d’une vie menée dans l’outrance. Bob Fosse signe une œuvre dont la vélocité et la confusion apparente miment à merveille les prestations de Lenny Bruce sur scène : son film épouse l’improvisation de l’artiste – en réalité savamment construite par l’écriture du scénario et le montage – et évite ainsi les écueils d’un parcours biographique linéaire. Ici, la trajectoire suivie n’est pas celle d’un individu depuis sa naissance jusqu’à son décès mais bien celle d’un génie à l’œuvre, en représentation devant un public et lancé en privé dans une (re)construction permanente de son personnage.
Le long métrage montre très bien comment l’intimité nourrit l’extimité, soit le désir de révéler à autrui des aspects de sa personne jusqu’alors gardés cachés, le désir de s’exhiber, de nourrir le spectacle de sa propre histoire. Là réside le scandale véritable : non pas tant transgresser des tabous en recourant à des mots, à des expressions ou à des thématiques jugés vulgaires, mais se saisir de l’actualité comme d’une matière à explorer par le prisme du burlesque et du trivial. Les tabous sont brisés pour construire du sens et donner le réel à penser au spectateur ; il ne s’agit pas de choquer pour choquer. Lenny Bruce apparaît aussitôt tel un prophète accusé de corrompre les autres alors qu’il démasque l’hypocrisie environnante.
Le film brosse en creux le portrait bouleversant d’un amour fou qui ne semble pouvoir s’épanouir que dans la redécouverte perpétuelle de l’autre ; son ennemi juré est la routine qui détruit tout et conduit aux paradis artificiels. Par le biais d’un destin singulier, Bob Fosse représente une époque de l’histoire de l’Amérique et une génération marquée par la libération des mœurs. Une œuvre immense au noir et blanc sublime et magistralement interprété par Dustin Hoffmann et Valerie Perrine.