Le téléfilm perdu
Fin des années 80, Philippe de Broca essuie un cuisant échec avec Chouans!, son épopée française sur la guerre qui opposa les Républicains et les Royalistes, qui ne convainquit personne en salles...
le 14 oct. 2020
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Ce doit être l'un des tout premiers films que j'ai notés sur senscritique à mon arrivée début 2013, et j'avais été très surpris par sa moyenne cataclysmique qui laissait augurer d'une immondice, un truc pas regardable et honteux du cinéma français, complètement effacé des tablettes de l'histoire et de la carrière du génial Philippe de Broca. Un film qui n'était en fait retenu que pour une chose : la première apparition sur les écrans d'une Catherine Zeta Jones divine et régulièrement à poils.
Et c'est vrai qu'il y a de quoi frissonner. Les 1001 nuits avec Gérard Jugnot en génie de la lampe, Stéphane Freiss en Aladdin et Thierry Lhermitte en roi de Bagdad ça peut donner une certaine idée de l'enfer (je repense avec émoi à la série télévisée "Merlin" où Gérard Jugnot tient le rôle-titre, un truc à voir pour le croire).
Et pourtant j'ai pris le risque de le revoir et je trouve le film superbe (et en tout cas loin d'être indigne), et je ne cesse de m'interroger sur cette réception calamiteuse.
Peut-être est-ce un malentendu lié au casting, au contexte assez sinistre du cinéma français du début des années 90 et du nombre incalculable de comédies vaseuses déjà ringardes à leurs sorties (et où justement on peut souvent retrouver toute la bande du splendid, Clavier et quelques autres) ?
Mais voilà un premier contrepied, contre tout préjugé ce film n'est pas une comédie, il n'est pas spécialement drôle, et il ne cherche pas franchement à faire rire. C'est avant tout un film à la de Broca qui croit dur comme fer à son récit, et qui le raconte avec 1er degré (parfois naïf), en insérant ici et là, de façon très parcimonieuse des petits gags, mais surtout beaucoup d'éléments de fantaisie (surréaliste), et de poésie.
On retrouve évidemment son sens du rythme, l'enchaînement effréné de péripéties imprévisibles (dans des structures très semblables à celles de ses films mythiques, le magnifique, l'homme de rio, qui ont inspiré Spielberg et le style des Indiana Jones).
Il y a une rigueur dans la reconstitution d'un cadre farfelu des 1001 nuits, une ambition dans la direction artistique, dans la conception très complexe des décors (et c'est le talentueux François de Lamothe qui a oeuvré sur les plus ambitieux projets de De Broca, dont "le roi de coeur" qui s'en charge). Ca va encore plus loin que dans Mission cléopâtre, pour moi on est plus au niveau de "les aventures du baron de Munchausen" de Gilliam, ou encore de "Jabberwocky".
On est dans du studio, mais pas seulement, c'est un studio cerné de décors naturels spectaculaires du Maroc et de la Tunisie (avec des Oued gigantesques qui font partie des décors les plus cinégéniques au monde). Et côté studio, pour moi on est du niveau d'un Gilliam de la grande époque, voire d'un Fellini "Casanova".
On a de superbes effets de profondeur, avec de très beaux matte painting très bien incrustés, des décors en durs impressionnants dans leurs dimensions, avec un palais où l'on travaille tout en verticalité pour construire des salles immenses (à la façon d'Ivan le terrible). Un travail de couleurs, de costumes toujours cohérent (par exemple malgré l'aspect en apparence bordélique, chaque classe sociale se détermine dans le film par des types de chapeaux particuliers et plus ou moins exubérants).
C'est donc un film ambitieux sur le plan esthétique, qui ne fait jamais fauché, qui assume pleinement ses artifices (et on rejoint Fellini et sa mer constituée en bâches plastiques dans "Casanova"), ce qui est totalement en phase avec l'esprit fantastique et la poésie des 1001 nuits.
Tout est toujours très bien construit, dans le choix des cadres, du montage, l'agencement des séquences, ce qui fait que l'univers vit véritablement. On passe de manière très fluide du palais à la grande place, où l'on retrouve Eric Métayer qui vend ses esclaves, travelling vers la porte gigantesque du palais, de l'autre côté, le grand Vizir (Formidable Roger Carel absolument hilarant pour le coup) qui déboule dans sa charrette, et puis petit panoramique léger où l'on découvre dans le fond Aladdin qui médite sur le sens de la vie. Tout fait corps, et je pense que de Broca est au sommet de sa maîtrise de l'espace, des personnages et des foules (je pense même qu'il est au-delà de ce qu'il a pu faire dans sa ville morte du "roi de coeur"). C'est quand même pas commun qu'on ait un tel degré de détails et d'ambition dans un film français.
L'autre élément intéressant, c'est que malgré la richesse du contenu, le foisonnement des personnages, et des micro-histoires qui peuvent apparaître comme une succession de sketchs pas toujours extra, on parvient tout de même à donner vie à ces personnages au-delà de leur présence à l'écran, ils ne disparaissent jamais grossièrement, ils poursuivent leurs trajectoires (leurs aventures) sans qu'on les suive, ce qui permet de prolonger le champ imaginaire du film. Ainsi, on comprend qu'Aladdin sillonne le désert en prophète intellectuel / ou que Sinbad - là encore un choix de casting merveilleux avec Vittorio Gassman qui s'en donne à coeur joie - continuera de raconter ses boniments et ses aventures extraordinaires à des assemblées médusées par ses dons d'orateur, pendant que l'histoire du film, elle, se poursuivra ailleurs.
Ce qui fait tout l'intérêt de film, toute son originalité, c'est qu'il n'est pas catégorisable (et c'est d'ailleurs souvent le cas dans la carrière de De Broca, où l'on n'est jamais dans la pure comédie, on est souvent dans un truc hybride difficile à appréhender, en particulier sur un film comme "le roi de coeur" qui dans le fond est assez dépressif, mais même "Le magnifique").
On construit une véritable histoire d'amour entre Shéhérazade et le roi, où y a pas spécialement de place faite à la dérision, avec une échappée des amoureux qui décident de se réinventer une vie d'acrobates itinérants. Des séquences très poétiques, par exemple ce passage où l'on abandonne tous les personnages pour suivre le trajet de la lampe magique tombée au fond de l'océan, avalée par un énorme poisson, lui-même pêché et éventré, avant d'être retrouvée par des oiseaux. Les jeux sur les mises en abyme que ne renierait pas Terry Gilliam (magnifique plan truqué où une devanture londonienne donne vue sur le désert marocain) , et qui peuvent paraître un peu ringards pour certains effets spéciaux (mais encore, je trouve qu'ils tiennent bien la route, et surtout c'est fait sans emphase, il n'y a pas de lourdeur, les choses s'enchaînent très rapidement, l'intégration des motos, hélicos & co se fait vraiment à petite dose), des idées rigolotes (quand la lampe est bousculée ou inondée, cela affecte la dimension du 20ème siècle, une idée qu'on retrouve d'ailleurs dans Inception^^), beaucoup de naïveté, de fraîcheur (on sent un plaisir d'avoir fait ce film, et il est communicatif), et un univers personnel qui n'est jamais aseptisé, qui est même sexué (rien que la séquence de harem, je m'y attendais pas, alors certes, on n'est pas chez Pasolini, mais quand tu vois une vingtaines de figurantes à poils dans un film qui pourrait avoir un côté Disney, c'est très déconcertant).
C'est un film bizarre, hybride, ambitieux, foisonnant, et en même temps simple, jamais lourd. Et puis il y a une superbe bande originale de Gabriel Yared, très expérimentale, puisqu'il décline une très belle mélodie orientale, dans des couleurs différentes et inattendues (avec un passage façon accordéon du métro parisien) et les personnages la chantent, ce qui veut dire qu'elle a été pensée en amont et s'intègre parfaitement dans la diégèse. On est plongé dans les 1001 nuits, et en même temps, on est dans quelque chose d'autre, de différent, d'imprévisible et de personnel. Et je retrouve mon compte en replongeant dans mes souvenirs d'enfance.
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Créée
le 23 déc. 2020
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