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Version longue


Après une incartade à Hollywood partiellement ratée, John Woo revient en Asie pour pondre la grande fresque historique où personne ne l’attendait : Les 3 Royaumes. Une histoire qui tutoie celle du Roi Singe en termes de popularités dans l’Empire du Milieu, basée sur la répartition de la Chine au IIIème siècle alors que la dynastie Han touche à sa fin.


On pourrait aisément reprocher l’aspect propagandiste de l’entreprise, puisque participant à l’écriture du roman national qui place l’ethnie majoritaire comme seule qui vaille, vertueuse et en proie à un adversaire que l’on accuse de tous les vices. On pourrait s’attarder sur le manichéisme évident du récit. Mais ces reproches s’appliquent de facto à toute la production chinoise qui passe par un cahier des charges servant les intérêts du Parti, et s’y arrêter priverait le spectateur d’un paquet d'œuvres qui trouvent leur qualités ailleurs. Alors si on s’attarde sur cette fresque épique, faisons le comme sur toutes autres œuvres de fantasy, voyons la comme un Seigneur des Anneaux oriental. Par ce prisme, on est face à un sacré morceau.


La mise en place quelque peu confuse avec une tonne de personnages et d’endroits qui nous sont présentés en ellipses décousues, dont les noms aux consonances peu familières et les accoutrements et coiffures martiales uniformes ont tôt fait de s’emmêler dans l’esprit du spectateur occidental. Un souci récurrent dans le cinéma asiatique auquel n’avait pas su pallier The Admiral par exemple. Mais au bout d’une vingtaine de minutes, on commence à recoller les morceaux et à se laisser happer par cette trame d’envergure. Et cela n’empêche pas cette introduction de déjà proposer ses moments de bravoure, avec une iconisation des généraux qui met en avant les caractéristiques de chacun, permettant de distinguer leurs moteurs dans cette mêlée. On a l’impression de voir un trailer de présentation de personnages dans un Dynasty Warriors, mais un trailer réalisé avec brio. Entre des effets spéciaux qui n’ont pas à rougir et renvoient le récent Gladiator II devant sa médiocrité, une bande-son signée Tarô Iwashiro qui rythme le souffle du wu xia, et le dynamisme de la caméra qui parfait les duels improbables, le ton est donné d’entrée de jeu.


Jusqu’à ce que l’alliance entre Liu Bei et Sun Quan, par l’entremise de Zhuge Liang et Zhou Yu, ne dévoile la deuxième facette du projet. Celle qui entremêle débat philosophique, poésie et stratagèmes explicités dans une déferlante de grâce, de charisme et de symbolisme. Tony Leung et Takeshi Kaneshiro aspirent l’attention du spectateur, se plaçant en légendes évidentes alors qu’il se jaugent à travers différents tests de caractère, estimant s’il est juste qu’ils s’adoptent mutuellement. Le dialogue s’instaure alors par un échange musical au guqin, par le traitement que l’on réserve à ces hommes que l’on envoie mourir, par les manœuvres militaires que l’on appliquera le lendemain, ou par l’interprétation des signes célestes. La bataille devient ainsi celle de l’esprit et non du corps, celle qui se nourrit des préceptes de Sun Tzu et permet de soulever des montagnes, de pallier l’infériorité numérique en faisant plier les circonstances à son avantage.


En 2008, j’avais vu en salle la version occidentale du film, un machin réduit de moitié qui élaguait tout ce qui faisait la singularité de l'œuvre, se concentrant sur l’action pure au détriment de sa portée spirituelle. Redécouvrir ainsi la vision intégrale du film est l’unique moyen de lui rendre sa portée et sa puissance. Un projet monumental qui parvient à trouver l’équilibre entre une action jouissive, une poésie esthétisée, et la prestance de ses interprètes. Le dernier grand film de John Woo, qui a l’air de s’être à nouveau perdu depuis.


Frakkazak

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