J'ai découvert Quentin Tarantino à l'âge de 11 ans avec Pulp Fiction, et ce fut le coup de foudre immédiat. Je n'avais alors pas les mots et les connaissances nécessaires pour exprimer ce qui m'avait tant enchantée, et il m'a fallu le revisionner à plusieurs reprises – ainsi que le reste de ses films- pour comprendre d'où venait cette magie.


Regarder les films de Tarantino, c'est comme faire l'amour (ou boire un bon vin, j'imagine que ça marche aussi, mais je ne suis pas un spécialiste). Ça commence doucement, il plaque une image, une ligne de dialogue, quelques notes de musiques ; et alors c'est parti. Les personnages parlent, parlent, la tension monte, lentement mais sûrement, comme un lent crescendo dans un flot ininterrompu de paroles. Au début elle est discrète, et puis elle devient tellement évidente, tellement insoutenable, qu'on ne peut plus l'ignorer; elle nous tient en haleine, on serre les poings, on grince des dents, on ose à peine cligner des yeux, on retient notre souffle, on sent que quelque chose va arriver mais impossible de savoir quoi -et là quand le spectateur s'y attend le moins, au beau milieu d'une arpège, l'explosion. Ça gicle dans tous les sens, ça hurle à en crever les plafonds, les cerveaux explosent, le sang éclabousse la caméra, c'est l'apothéose, c'est l'orgasme infini et cathartique de la violence brute, à l'état pur, qui ne suit plus aucune règle.
Voila ce que m'évoque un film de Tarantino. J'en conclus que ce que je viens de voir n'est pas un film de Tarantino.
Les dialogues ont disparu. A la place, un enchaînement grossier de répliques à l'emporte-pièce et de punchline toutes plus stéréotypées les unes que les autres (« olala c'est moi Billy le cowboy je vais te faire manger ton cerveau et cracher tes tripes »). Mes yeux se sont tellement levés vers le ciel qu'ils ont fini par rejoindre Steve Jobs et Michael Jackson au paradis. Le rythme de mitraillette a, lui aussi, disparu au profit de personnages articulant chaque syllabe de leurs précieuses répliques afin d'être sûr que leur interlocuteur (et le spectateur) n'en perdent pas une miette (c'est dur de suivre quand ça va trop vite, avouons-le, on est un peu cons nous). La tension ? Elle n'est pas. C'est vide, c'est creux tout du long, rien pour tenir le spectateur en haleine -ou si peu.
Les explosions de violence n'ont, par conséquent, plus aucun sens. Une tête qui explose n'a plus rien de beau et de poétique, c'est juste une tête qui explose et qui nous laisse un arrière-goût de malaise et de ketchup premier prix. Et quid de l'humour noir qui faisait tout le charme d'un Pulp Fiction où d'un Inglorious Basterds? Il semble avoir disparu au profit des mimiques et des manières ampoulées de Walton Goggins. Le personnage de Chris Mannix est une insulte au monde de la fiction. Mesdames et messieurs, voici le bouffon de ces spectateurs, riez maintenant s'il-vous-plait-et-que-ça-saute.
La subtilité s'est évaporée avec mes espoirs, au bout d'environ 20 minutes de film. Hateful Eight s'enfonce avec la grâce d'un marteau-piqueur dans les cerveaux et les oreilles (« vous voyez là ? Il se passe ça parce qu'il y a eu ça avant »). La mise en scène est vide, champ-contre-champ tout du long, tiens un petit panoramique à la fin, 10 minutes avant le dénouement, et si peu exploité.


Pas la peine d'insister plus, vous l'avez compris, je suis déçue par ce film. Ou peut-être pas, car j'avais placé assez peu d'espoir en lui. En réalité, je suis déçue par son réalisateur. Il se repose sur des acquis et des ingrédients qui ont fait ses films d'autrefois, mais finalement peut-être sans avoir compris ce qui fait la magie de son cinéma. J'ai mis 4 au film, mais au fond on s'en fout, j'ai mis une note parce que j'y étais forcée. Je veux juste que Quentin nous revienne.

Shezza
4
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le 11 févr. 2016

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Shezza

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