Encore un autre western et "8ème film de QUENTIN TARANTINO"! (comme bien écrit en gros de partout). On pourrait être lassé par ce narcissisme de plus en plus imposant chez ce réalisateur qui semblait jusqu’à présent conquérir le cœur de tous, des critiques les plus fermés d'esprits au spectateur le plus lambda. Et pourtant ici la réjouissance de ce film ne fait pas l'unanimité, bien au contraire. Alors que le grand Tarantino vient juste d'annoncer sa retraite imminente, certains semblent se soulager à 'idée de ne plus souffrir d'une nouvelle Tarantinaderie qu'il vient de livrer avec "les 8 salopards". Car c'est bien de cela dont il s'agit. On aurait pu croire qu'on allait de nouveau assister à ce qu'il a toujours fait, non sans quelques petites trouvailles très plaisantes, de nombreuses références mixées pour un cafouillage pourtant ordonné dans cet univers si particulier, le tout servi par un scénario permettant intrigues multiples, rebondissements en tout genre, scènes de tensions marquantes, étant bien sûr accompagné par une mise en scène séduisante, une violence addictive et une BO décalée mais pour notre pur bonheur à la fois visuel et auditif. Mais ici c'est de toute autre chose dont il s'agit. Bien sûr certains vous affirmeront le contraire, qu'il s'agit bien d'un Tarantino, d'un vrai, et cette remarque permettant soit les louanges (car il est toujours plaisant de découvrir un de ses nouveaux films), ou bien de virulentes critiques (car on en a marre de voir toujours les mêmes films, le pauvre homme à court d'idées se reposant sur ce qu'il croit être bon aux yeux du public).
En réalité "Les 8 salopards" est un coup de génie justement par ce que le film réussit, tout en s'éloignant tout d'abord de ce qui forme le cinéma de Tarantino, à intégrer progressivement ce qui va devenir l'une des plus grandes farces du cinéma. En maître, le réalisateur ne fait pas que copier ses autres films, et se caricaturer lui-même en reprenant tous les codes qu'il a lui même créé pour les pousser à l'excès. Ici Tarantino arbore le défi de se moquer de son propre genre, de rire de ses propres effets, et il tente de plaire au spectateur tout en créant une oeuvre frôlant le navet continuellement. Mais de ce fait il réussi encore à nous surprendre, il parvient encore à attirer notre attention, à nous faire plonger dans son monde si particulier, et au final malgré la durée du film qui peut faire peur, on ne prend jamais suffisamment de recul pour se rendre compte dans quel dégénérescence nous succombons.
Car c'est bien de cela dont il s'agit, c'est une chute progressive, une descente lente dans la folie, dans l'incohérence,dans un délire des plus extrêmes provocants tout autant le rire, la peur, le dégoût et la perplexité. On pense ainsi au film tout aussi marginal qu'est "Killer Joe" de William Friedkin, car de la même manière que celui -ci porte à l'initial le masque du polar classique pour au final offrir un portait des plus surprenant et invraisemblable d'une famille marquée par la mort d'un proche et des relations en conflit qui en déjouent, ce film est amené au départ par Tarantino comme un western des plus classiques. On commence donc dans des plaines enneigés, avec la succession de magnifiques plans contemplatifs très travaillés, ceci n'étant pas sans rappeler les images du "Grand Silence" de Sergio Corbucci. On croit alors que le réalisateur de "Django Unchained" s'est décidé à réalisé le vrai film hommage au western spaghetti qu'il avait promis de faire. Et tout au départ laisse penser cela. La musique merveilleuse d'Ennio Morricone très présente, des personnages solitaires et méfiants, des plans d'une nature étendue et sauvage, de longues scènes de dialogues dans une calèche traversant les grands espaces.
Mais peu à peu tout se dégrade. Mais ce qui fait la force du film n'est pas que Tarantino ait réussi à nous duper, mais c'est la manière qui lui a permis de nous tromper qui est admirable. Tous les effets de mise en scène et d'écritures connus sont de nouveau présents mais à chaque fois détournés. Le film est divisé en chapitre mais la séparation n'est pas forcément très nette et les titres donnés annoncent souvent la rigolade qui va suivre. De plus, tandis que cet effet laisse étendre un éclaircissement de plus sur les événements produits ou à venir, on se questionne parfois sur la réelle utilité sur ce qui nous est montré comme c'est le cas de l'avant dernier chapitre racontant le meurtre des aubergistes, car la séquence parait vouloir créer un suspens qui pourtant jamais ne vient concrètement. Mais c'est là que réside l'adresse et l'habileté de Tarantino, jouant de ce à quoi on s'attend et de la façon qu'il a de nous le présenter pour finalement nous questionner sur ce que l'on regarde et également nous surprendre par d'autres approches.
Des retour en arrière viennent se rajouter à la narration linéaire au bout d'une heure et demi de film, tombant ainsi comme un cheveux sur la soupe et ne permettant aucunement de faire avancer véritablement l'histoire, mais accordant l'une des scènes les plus absurdes du cinéma du réalisateur: la séquence de la fellation. Et cette image choque et reste car cela donne l'impression d'une métaphore de la relation qui s'est créée entre le spectateur et le réalisateur. Autre effet: la voice-over. Mais idem, celle-ci survient soudainement alors que le film jusqu'alors s'en passait, et qui entendons-nous? Et oui Tarantino lui-même! Cela devient alors comme un jeu pour lui. En trois heures il va nous faire rire car lui-même rit derrière sa caméra à de plus en plus détourner les images à sa guise. Les dialogues, d'habitude si bien écrits, semblent faux, décalés, incongrus; même les acteurs paraissent avoir un double jeu, comme si tout méritait deux lectures, car rien n'est donné dans sa vraie apparence. Cela rend la chose angoissante, d'autant plus que l'on finit par être enfermé dans un seul lieu, la même pièce pendant deux heures durant.
Et alors au fur et à mesure tout va se dégrader, et se sera la déliquescence pure. Dans cette auberge, c'est un véritable remake de "The Thing" qui va se créer, et ce n'est pas simplement quelques références comme la tempête à l'extérieur avec les cordes pour se déplacer, ou bien le fait de se retrouver bloquer avec 8 hommes dans un même lieu clos, aucun n'ayant confiance en l'autre et cherchant le ou les intrus. Le rappel du film de Carpenter se ressent dans les entrailles même du film, dans celles que Kurt Russel vomi sur le sol. Cela se vit dans le sang qui gicle, dans les corps mutilés et dans la musique d'Ennio Morricone emportant les images au service d'un horreur pure.
Même la voie du film historique ou bien moralisateur, comme on l'attribue parfois chez Tarantino comme pour son dernier, ici n'est pas empruntable. L'époque semble déterminée approximativement avec les confrontation d'un ancien sudiste et nordiste face à un noir dans une époque de post-esclavagisme récent. Mais là encore, tout est tourné en dérision, les personnages eux-mêmes ne croyant pas à leurs rôles. C'est une véritable caricature de la guerre de sécession qui est filmée, mais au final il n'y a plus ni ennemi, ni gentil. Le seul symbole de raison aurait pu être la lettre du président Abraham Lincoln que le personnage de Samuel Lee Jackson affirme posséder, mais en réalité cette lettre est fausse. Il n'y a donc aucun modèle d'une quelconque valeur ou de chemin convenable et pondéré à suivre. Les relations entre les salopards s'entremêlent, peu importe qui est l'ami tant q'on peut sauver sa peau. Et c'est ainsi que la dernière image donne à voir un sudiste blessé réconfortant et s'allongeant sur un noir mourant récitant une fausse lettre d'un président, et pourtant à l'allure d'une morale pour ce film. Le tout étant accompagné d'un travelling arrière, symbolisant une levée de drapeau menant au corps dégoulinant d'une tueuse fraîchement pendue, après avoir été trempée dans le sang et les tripes de tous les morts.
Quoi penser alors en sortant de cela? Il n'est certes pas évident d'appréhender pareille expérience convenablement, mais nous pouvons conclure que le talent et l'intelligence de Quentin Tarantino réside encore dans sa manière de surprendre, et ici en prenant du recul dans ce qu'il fait lui-même pour finalement offrir un film intriguant et subtil, riche en humour et en dérision. Car il est plaisant de découvrir un film faisant le mélange de la narration des plans de Leone, de la violence et la noirceur de Penckinpah, de l'humour noir de Friedkin, servi par la construction d'un Carpenter, tout en restant Tarantino par le regard pertinent qu'il arrive encore à porter sur le cinéma, et ce essentiellement par une écriture qui reste brillante mêlant les registres, les rythmes, et les effets visuels.

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le 13 janv. 2016

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r0berto

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