Tarantino semblait être arrivé au point de sa carrière où le divertissement était devenu le seul et unique but de ses films. Rien de mal là dedans, bien au contraire. Pour un réalisateur comme Quentin, le voir se décomplexer de tout (malgré un contexte historique qui n'a pas de vraies visées politiques, ou si peu) a été à la fois décevant (Inglourious Basterds) et jouissif (Django Unchained). L'enjeu pour le spectateur en voyant ce film pour la première fois était donc de savoir si le réalisateur allait continuer dans cette veine, ou s'il pouvait nous sortir le tour de force de se renouveler une nouvelle fois.


Finalement, ce ne sera ni l'un, ni l'autre. Car The Hateful Eight est avant tout un condensé de toute la carrière de QT, mais également un petit renouveau dans cette dernière. Il fallait bien trois heures de film pour en rendre compte : les dialogues sont toujours présents, sauf que dans ce climat de tension où chacun est un ennemi potentiel, on ne parle plus de banalité comme dans Death Proof, mais du passé des personnages. La violence esthétisé est également là, mais elle n'est plus dansante comme dans Kill Bill, ou drôle comme dans Pulp Fiction, mais baroque et grotesque, comme dans un giallo (Tarantino avait d'ailleurs annoncé qu'il s'agissait là de son premier film d'horreur, on comprend pourquoi). La tension est palpable comme dans Reservoir Dogs, mais contrairement à ce dernier, le film la met en second plan pendant une bonne partie pour la rendre encore plus prenante.


On savait que le réalisateur était friand de décors historiques : c'était confessé depuis deux films, les plus cinéphiles le savaient depuis au moins Kill Bill. Mais chose inédite par rapport aux deux œuvres précédentes, Quentin s'arme ici d'un véritable sous-texte nous décrivant la coexistence des américains dans l'après guerre civile. Fini, donc, les mauvais nazis et négriers bien méchants. Si ici, l'armée sudiste peut prendre ce rôle à travers le général, on est tout de même ici plus dans une dynamique du "tous pourris". Dynamique que le personnage de Samuel L. Jackson a bien compris, puisqu'on a là l'archétype du personnage opportuniste et égoïste, mais gardant un certain sens de la raison auquel le spectateur peut se rattacher.


La scène où il avoue son mensonge au personnage de Kurt Russell, en plus d'être très drôle, est révélatrice. John Ruth représente l'américain moyen, patriotique et armé d'une sensibilité envers son pays qui nous toucherait presque, mais doublé d'un sadisme inavoué. Major Marquis n'hésite pas à bafouer l'honneur du président avec sa lettre pour s'en servir, car il sait que la liberté qu'on lui a promise n'est qu'un leurre tant que tout le monde ne jouera pas le jeu (comme une certaine couverture). Tous ces personnages représentant leur communauté, le discours tisse sa toile assez rapidement, jusqu'au final d'une grossièreté sanglante et hilarante, mais dressant un portrait terriblement noir de l'Amérique, où la justice ridicule est érigée en tant que porte bannière d'un pays qui se dit juste, mais qui n'arrive qu'à assouvir des fantasmes d'un peuple sadique et incapable de vivre ensemble. Des Etats-Unis qui disparaissent doucement sous la neige, à l'image de ce Christ derrière lequel le peuple américain se retrouve. Que l'on soit d'accord ou pas, le message est amené de façon pertinente, et permet un début de réflexion sur l'envie et la capacité de vivre ensemble qui me parait intéressante.


Tarantino devient, de plus en plus, un grand réalisateur qui démontre film après film que ses limites qu'on lui prédisait dès le début de sa carrière n'existent tout simplement pas.


Critique faisant parti d'une rétrospective sur le réalisateur :
http://www.senscritique.com/liste/Retrospective_Quentin_Tarantino/1207072

Mayeul-TheLink
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le 3 oct. 2016

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