On a souvent tendance à dire que le cinéma de Quentin Tarantino divise et son 8e film n'échappera certainement pas à ce poncif. Entre une réalisation en 70mm, un huis clos anxiogène, un casting qui se compte sur les doigts, un chapitrage bien marqué, des dialogues interminables et les habituels geysers d'hémoglobine renvoyant au grand n'importe quoi; QT signe là une oeuvre qui risque de décevoir tous ceux qui n'estiment pas vraiment Reservoir Dogs.


Après un plan séquence d'ouverture des plus contemplatifs, on nous plonge dans le confort relatif et passif d'une diligence traversant un blizzard. On y fait connaissance avec John Ruth qui, en bon chasseur de primes, emmène Daisy Domergue à l’échafaud. En chemin ils décident d'emmener avec eux le Major Warren - également chasseur de primes - puis Chris Mannix qui n'est autre que le shérif de la ville où tout ce beau monde se rend. Cette présentation donne le ton; une succession de longs dialogues qui permet d'introduire les personnages et puis c'est tout. Nous sommes dans une diligence, et post guerre de Sécession à part tailler le bout de gras il n'y a pas grand chose d'autre à faire pour s'occuper. D'ailleurs c'est bien retranscrit dans le film puisqu'après avoir brisé la glace, on constate que les protagonistes s'ennuient. Comme certains spectateurs de la salle qui poussaient déjà leurs premiers râles d'exaspération... Face au blizzard, nos voyageurs sont contraints de faire halte dans le relais de Minnie et Charly - le lieu central du film - qui sont exceptionnellement absents et ont laissé les rênes à d'autres. C'est l'occasion pour le spectateurs de découvrir de nouveaux personnages à travers de nouvelles présentations bien bavardes, comme sait les écrire le réalisateur controversé.


Nous en sommes alors au 2/5e du film et bien qu'il semble ne s'être rien passé, tous les éléments du film sont déjà bien installés. Chris Mannix (Walton Goggins) est-il bien le shérif ? Le Major Marquis Warren (Samuel L. Jackson) était-il le confident épistolaire d'Abraham Lincoln ? Qu'a donc fait Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh) pour voir sa tête mise à prix à 10000$ ? Où sont passés les propriétaires de la Mercerie ? Qui sont les inconnus qui squattent les lieux ? Tout le film tourne autour de ces questions, en sus des prosaïques Qui ment ? Qui cherche Quoi, et Pourquoi ? Toutes ces interrogations s'articulent autour du contexte de l'après guerre Civile et de facto les dialogues sont fondés sur l'opposition Nordiste-Sudiste où Samuel L. Jackson accapare le 1er rôle puisqu'en plus d'être le seul black des lieux, il est tristement célèbre dans les deux camps.


Les influences du film sont nombreuses. On peut citer pêle-mêle une partie de Cluedo pour l'aspect ludique, une enquête d'Agatha Christie pour le coté investigation dans un huis-clos, Reservoir Dogs pour les longues tirades mettant à l'épreuve le jeu d'acteur des protagonistes - aux sens propre et figuré - ou encore The Thing à travers le contexte du lieu central pris dans la tempête et accompagné par un score recyclé et remixé par le grand - que dis-je, le très grand - Ennio Morricone. Tarantino ne nous invite pas à nous immerger dans un contexte bourré de tensions sociales et politiques, il nous y oblige. Et si cela demande un certain effort de concentration, on pourra laisser notre esprit vagabonder en scrutant le décor du chalet qui fourmille de détails naturels comme les particules de poussières qui filtrent sans arrêt dans les stries de lumière ou tout simplement les flocons qui s'invitent en masse lorsqu'une bourrasque de vent vient ébranler la porte d'entrée. Oui, c'est de l'ordre du détail mais cela confère un caractère authentique à l'environnement.


Finalement il s'avère que je n'ai pas grand chose à reprocher au film. La seule chose pertinente qui me vienne à l'esprit c'est lorsque un narrateur omniscient - Quentin en personne, soit dit en passant - se pointe et vient briser le 4e mur pour rebattre les cartes. J'ai trouvé ça particulièrement déstabilisant car, personnellement, j'estime que l'utilisation d'un narrateur n'apporte rien de particulier si ce n'est confirmer à ceux qui en avaient encore besoin que Tarantino fait tout et n'importe quoi dans ses films, mais clairement toujours ce qu'il veut, lui. Le second point qui m'a un peu chagriné est plus anecdotique puisqu'il cible le contexte des dialogues. La guerre de Sécession est historiquement fondamentale pour les américains mais pour nous autres, européens/français, ça n'a pas la même portée ni la même teneur subversive. Reste que Tarantino en profite pour taper allègrement dans la joie et une bonne humeur empreinte de 8e degré sur les blancs, les noirs, les mexicains, les(/la) femmes et les vieux réac' à travers les prismes du racisme et de l'arbitrage politique.


Donc voilà, c'est bien maigre lorsque j'oppose cela à l'ambiance distillée de l'ouverture jusqu'à l'épilogue, à la réalisation au cordeau, à la Bande Son éclectique et envoutante d'Ennio Morricone, aux deux scènes enivrantes et portées par des musiques diégétiques, et surtout à des acteurs possédés et cabotins comme jamais. Si Reservoir Dogs est mon Tarantino préféré c'est pour le sentiment de maestria que me renvoient les acteurs. J'ai l'impression d'être face à une mise en abyme d'acteurs de théâtre qui, filmés lors de longues séances bourrées d’intensité, donnent le meilleur d'eux-mêmes. Et c'est exactement ce que j'ai ressenti avec The H8teful Hate. Ici ils ne peuvent pas tricher. Ils sont en face à face, jouent le rôle de personnages jouant un rôle et le montage posé de QT les oblige à se surpasser pour nous emmener avec eux dans leurs histories et surtout leurs mensonges. Même si S.L. Jackson vole assurément la vedette à ses petits camarades et que je déplore que Mickael Madsen n'ait pas un plus grand rôle à jouer, ils sont tous excellents et habitent admirablement bien les personnages qu'ils interprètent. C'est du grand jeu, tout simplement.


Les 8 Salopards se rapproche donc de Reservoir Dogs et comblera celles et ceux qui accepteront de plonger corps et âmes dans ce grand jeu de mensonges entre ennemis. Je n'en fait pas mention dans ce billet mais il va de soi que les ineffables Tarantineries comme les scènes de gore grand-guignolesques ou les dialogues absurdes sont de la partie. Bref c'est du Tarantino et on aimera, ou non.

MarlBourreau
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le 17 janv. 2016

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MarlBourreau

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