Peckinpah Hardcore
Le film va diviser... Encore plus que d'habitude pour du Tarantino, mais sur le plan moral essentiellement, là où les précédents Tarantino décevaient également sur la forme, avec des films...
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le 25 déc. 2015
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Django Unchained était un film que j'avais profondément detesté. Outre une mise en scène et un montage que je trouvais brouillons, tape à l'oeil et sans la virtuosité habituelle de QT, il y avait (et c'était nouveau dans sa filmographie) un problème de morale qui me dérangeait profondément, à savoir la glorification cool et l'esthétisation d'un personnage qui au nom d'une cause supérieure, l'esclavage, se permettait les pires atrocités, et ce, sous l'oeil goguenard du réalisateur et naturellement du spectateur. Des scènes de violences aussi crues entourées de poses et répliques cool au service de quoi ? d'une catharsis vis-à-vis de l'esclavage aux USA ? Je n'avais rien trouvé de très glorieux là-dedans.
Tout cela pour dire que, de la même manière, les scènes de têtes explosées, de bites sucées, de dents et nez brisés et autres couilles arrachées, ça ne m'a pas trop fait rire. Le film entier est peut-être juste une farce pour QT, une bonne grosse farce potache et bien lourde, mais il faudrait savoir de quoi il faut rire exactement ? Lors de telles scènes, dont la gratuité est confondante, faut-il rire parce que l'effet est too much, parce l'on est surpris par ces minis jump-scare, ou bien parce que c'est incongru de voir des bouts de cervelles dégouliner sur quelqu'un ? J'ai beau y réfléchir, je n'y vois qu'un effet de style grossier, ayant pour but de donner un semblant de personnalité à une narration et une mise en scène assez maladroite, voire pauvre à certains moments.
Détaillons un peu ce dernier point.
Le découpage de l'action en chapitres n'apporte strictement rien et semble bien prétentieux par rapport à ce qu'ils représentent chacun. Un chapitre intitulé "Le secret de Daisy Domergue", vraiment ? Justifié par un flash-back d'une grossièreté ahurissante où l'on voit une main anonyme empoisonner le café ? Un autre chapitre flash-back entier qui nous révèle en bloc tous les tenants et aboutissants de la situation ? Ce "twist", si on peut appeler ça ainsi, est révélateur. QT cherche à surprendre et confondre le spectateur, mais balancer ex nihilo tous les ressorts de l'intrigue via un flash-back et une voix off complètement débile et inutile, c'est pas de la surprise, c'est juste au mieux un effet facile pour impressionner, au pire de la malhonnêteté avec le spectateur. Dans sa préface d'Histoires Mystérieuses, Asimov décrit bien ce genre "d'escroquerie" (1) de la part du romancier/réalisateur, escroquerie qui me hérisse le poil.
Autre chose, où est passée la réalisation nerveuse de Reservoir Dogs ? La virtuosité dans la narration de Pulp Fiction ? En regardant The Hatetful Eight, j'ai regardé un huis-clos bavard, plutôt verbeux en fait, sans rythme dans la répartie, aux dialogues sans malice ou humour. Les personnages ne font que parler à la cantonade, et ce de manière grandiloquente en multipliant les mots et les phrases là ou deux auraient suffi. Premier problème, tout le monde n'excelle pas à ce jeu là comme Christopher Waltz dans Inglorious Basterds, sans parler du fait que QT a épuisé ce type de personnage, et qu'au bout de la troisième fois, cela devient lassant. Second problème, plus important, c'est que l'absence de dialogue un peu fournis, débarrassés de ce second degré à la longue facile, ayant un peu de matière et surtout apportant un peu de nervosité, met à bas la tension et les enjeux de ce huis-clos. Pourtant c'est quelque chose que Tarantino maîtrise, la Parole et ses enjeux, la Parole performative (la scène d'ouverture d'Inglorious Basterds), la Parole mensongère et parfois traîtresse (la scène du bar dans Inglorious Basterds, la scène où Tim Roth policier infiltré raconte sa blague de mafieux aux mafieux, bref, des scènes où les acteurs jouent à être acteurs). Mais là rien. La Parole des uns et des autres est réduite à ses buts les plus communs et triviaux, pas de scènes ou l'on se dit que le dialogue révèle un plus que ce qu'il ne dit explicitement, rien que du trivial ou du second degré transparent.
Et puis vient le moment où tu te rends compte en fait qu'il filme son huis-clos comme un pied : l'espace, la salle de cette mercerie, à aucun moment tu ne te l'appropries, à aucun moment tu vas étouffer dedans et sentir la tension qui doit régner, à aucun moment tu vas toucher du doigt cette notion d'enfermement, physique et mental. Quand Daisy Domergue mime sa pendaison derrière John Ruth avec force grimaces, c'est pas drôle, ça nique le truc. Quand la caméra s'intéresse à des discours à la cantonade surjoués s'adressant aux 7 autres endormis puis à des successions de dialogues tête à tête champ/contre-champ qui s'éternisent, sans à aucun moment s'intéresser aux réactions de groupe, confronter les différents personnages, ça nique le truc. Quand un mec se met à apparaître de la cave, l'unité de lieu est brisée, QT s'est bien foutu de ta gueule, ça nique le truc.
Non, le huis-clos est un genre exigeant, et il me semble que QT est passé complètement à côté.
Enfin la photo ne tient pas les promesses annoncées par le générique "Photographied in 70mm". Le premier plan du film est un travelling arrière extrêmement long sur une statue de bois, avec pour fond la monotonie floue de la neige et et du ciel. Et là tu comprends que cette histoire de 70mm c'est bien de la frime : dans un western classique, la transition statue vers diligence qui arrive se serait faite en trois quatre secondes, là elle dure deux minutes (!). Pourquoi pas, mais un travelling arrière c'est que tu as de la profondeur à monter, des plans étagés qui se parlent et qui se répondent (cf. l'ouverture de Orange Mécanique), pas une vieille statue pourrave et un fond uniforme qui n'apporte aucune profondeur et ne dit rien du tout.
Autre chose qui m'a frappé : sur un plan moyen où Daisy chante, la mise au point fait plusieurs fois l'aller-retour entre la miss au premier plan et les deux personnages parlant au second plan (changer cinq fois de mise au point lors d'un même plan c'est déjà assez atroce). Or plus loin, lorsque le Major Warren et Mannix contemplent Daisy mourante, même disposition, l'un au premier plan l'autre au deuxième, mais là Tarantino utilise la technique de la double focale. Cette multiplication gratuite des effets photos me fait dire que le 70mm reste purement et simplement de l'esbroufe ici, au service d'une photo gérant bien mal l'espace.
Je n'ai donc pas passé un bon moment en face de ce film. Je me suis bien ennuyé en fait. Trop d'effets faciles, trop de verbiages prétentieux et une mise en scène souvent banale, parfois complètement grossière, qui échoue à rendre compte des tensions que le scénario aimerait bien insuffler.
(1) Dans un roman de science-fiction, le détective peut dire : « Mais c’est élémentaire, mon cher Watson ! Comme vous ne l’ignorez pas, à partir de 2175, tous les Espagnols se sont mis à apprendre le français. Comment se fait-il donc que Juan Lopez ait prononcé en espagnol ces paroles significatives ? » À moins que le détective en question ne sorte de son sac à malices un instrument bizarroïde en s’exclamant : « Ainsi que vous le savez, mon bon Watson, mon frannistan portatif est parfaitement capable de détecter en un clin d’œil le bijou caché. »
Je ne me laisse pas impressionner par ce genre d’arguments. À mon sens, l’auteur qui écrit un policier classique (sans rapport avec la science-fiction) est capable de se montrer déloyal avec le lecteur. Il peut dissimuler délibérément un indice indispensable. Il peut faire surgir du néant un personnage supplémentaire. Il peut, tout simplement, « oublier » un détail et ne plus y faire allusion après avoir lourdement insisté sur lui. Il peut faire tout ce qu’il veut !
Seulement, les auteurs en question ne font pas n’importe quoi. Il y a une règle qu’ils respectent : être honnête avec le lecteur. Peut-être obscurcissent-ils tel ou tel indice : ils ne l’omettent pas. Les lignes de force essentielles du raisonnement peuvent n’être mentionnées qu’en filigrane : elles sont là. On mystifie impitoyablement le lecteur, on le branche sur de fausses pistes, on l’égare mais on ne l’escroque pas.
Isaac Asimov, préface de Histoires Mystérieuses
Créée
le 20 janv. 2016
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